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Le fleuve Amazone passe par Rome…

José Arregi
Publié dans Bulletin PAVÉS n°61 (12/2019)

Bienvenue au fleuve Amazone sur les rives du Tibre, au bord de la Méditerranée !

La grande Amazonie, "terre de forêts et d’eau, de plateaux et de marécages, de savanes et de cordillères, mais surtout terre d’innombrables peuples, beaucoup d’entre eux millénaires, habitants ancestraux du territoire, peuples d’anciennes fragrances qui continuent à parfumer le continent contre toute désespérance" (Document synodal n° 41), a été l’invitée d’honneur du Synode de l’Amazonie du 6 au 27 octobre.

Qu’elle soit la bienvenue à Rome !

Cela aura supposé le virage sans précédent que beaucoup célèbrent vers une autre Église, une "Église au visage amazonien" (86) ? Depuis presque sept ans – une législature et demie dans n’importe quelle démocratie – j’entends qu’avec le pape François est arrivé enfin le printemps de l’Église catholique, et que cette fois ce sera irréversible. Pardon, moi je ne le vois pas. Mots, gestes, messages appuyés, styles printaniers, nombreux et bons ; changements en profondeur dans le modèle de l’Église, aucun. Je revois les deux synodes antérieurs, celui de la famille et celui des jeunes, et je suis incapable de dire ce qu’ils apportèrent de nouveau. La même chose continue avec celui-ci, qui a réuni plus de 300 personnes à Rome, dont 181 évêques aux ornements et aux liturgies médiévales. Celui-ci sera-t-il enfin le commencement d’une nouvelle Église pour le 21e siècle ? Je continue à ne rien voir, mais bienvenue soit l’espérance !

Bienvenu soit le document final ! Je le dis franchement, avec la substantielle réserve que j’indiquerai de suite. Le message social, politique, écologique adressé au monde entier avec les yeux et le cœur en Amazonie, me paraît excellent. Il dénonce avec fermeté les "attentats" contre la vie des communautés indigènes (10), le modèle économique de développement autoritaire, "destructeur et extractiviste" (69), "prédateur et écocide" (46), le colonialisme (55) et le néocolonialisme (81), "l’évangélisation colonialiste" (55). Il réclame "une conversion synodale, synodalité du Peuple de Dieu guidée par l’Esprit en Amazonie" (86). Il revendique le respect "à l’autodétermination et à la libre décision" de ses peuples (50). Il déclare que "l’Église opte pour la défense de la vie, de la terre et des cultures d’origines amazoniennes" (78). Il revendique à répétition la culture indigène du "buen vivir" (Sumak Kawsay). Il appelle à une conversion écologique intégrale (60). Plaide pour une "Église alliée de l’Amazonie" (50). Magnifique !

Mais le dernier chapitre, le plus long, Nouveaux chemins de conversion synodale, qui est supposé proposer des mesures innovantes pour une Église du futur, m’a déçu profondément. De nouveaux chemins ? Il propose d’instaurer le diaconat permanent d’hommes (104, 106) comme auxiliaires du prêtre pour présider à certains sacrements, mais cette catégorie existe déjà. Il pose la possibilité d’ordonner prêtres des hommes mariés à la vertu reconnue pour "les zones les plus reculées de la région amazonienne" (111), mais il y a des prêtres mariés dans l’Église catholique depuis 1829 pour les catholiques de rite grec et depuis 2009 pour des prêtres anglicans mariés convertis au catholicisme. Il demande que la femme puisse être "lectrice et acolyte" (102) à la messe… Grand Dieu !

Et, sujet vedette, il propose que soit réactivée la commission d’études sur une hypothétique ordination de femmes comme diaconesses (103), commission que mit en place le pape François et qui très vite resta en stand-by, mais le pape lui-même avertit que ce ne serait pas une "ordination sacramentelle", c’est-à-dire que la femme ne serait pas intégrée au clergé, ceci n’est pas nécessaire. Et quand bien même cela le serait, la diaconesse continuerait à être subordonnée aux hommes, le prêtre et l’évêque. Rien de nouveau donc, sous le soleil du Vatican. Tout continue sous l’autorité de l’évêque nommé par le pape (ceci est intouchable). L’évêque venu de Rome est celui qui discerne le discernement et guide l’Esprit qui guide. Le cléricalisme masculin reste intact. Et cela s’est vu clairement à l’heure de voter : pas une seule femme n’a pu participer au vote du Document synodal. Voici la place de la femme dans l’Église catholique.

En conclusion : l’Amazonie est à peine passée par le Vatican. Le Vatican passera-t-il en vérité par l’Amazonie ? Baptisera-t-on, enfin, et à fond, dans les eaux sacrées du fleuve Amazone, comme Jésus dans le Jourdain ? Et qui dit l’Amazone dit le Bénarès, le Congo, le Danube et la Seine ou le Guden danois. L’Église catholique arrivera-t-elle à libérer la Bonne Nouvelle de Jésus de sa dogmatique dépassée, de ses formules inintelligibles, de ses structures cléricales, de ses préjugés euro-centrés, de ses prétentions absolues ?

Il est vrai que les grands voyages commencent par un petit pas, mais à ce rythme l’Église disparaîtra avant de s’être transformée. Mais l’Esprit de l’Amazonie continuera à encourager la vie, loin de Rome, soufflant là où il veut.


José Arregi - Espagne)

Notes :

Traduit de l’espagnol par Rose-Marie Barandiaran

Publié dans DEIA et les quotidiens du groupe Noticias le 11 novembre 2019





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