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Voeux de Pâques

Jean-Marie Culot
Publié dans Bulletin PAVÉS n°62 (3/2020)


C’est toujours un plaisir, cher lecteur, de vous présenter mes vœux, comme je le fis, Ange du tombeau, aux deux premières chrétiennes1, Marie de Magdala et l’autre Marie. Les courageuses au chevet de l’agonisant, les tôt levées, les deux aimantes, les deux admirables. La mise en scène, j’en conviens, le tonnerre de Dieu, c’était too much, mais je venais du fond de l’infini et il convenait que je donne une "sacrée" frayeur aux soldats. Mais la robe, blanche comme neige2 ? Classe ! Et la lourde pierre, roulée ? Le faire !

Chères ouailles de 2020, je ne vais pas m’attarder sur les détails historiques3, géographiques, psychologiques4, juste évoquer ces vœux présentés à ces deux charmantes, juste l’essentiel. La fête que je leur offrais ! Après l’incompréhension, li’effroi, le chagrin, je venais leur annoncer leurs retrouvailles avec Jésus. L’aube du christianisme, la lumière de Pâques !

Mais moi qui, par privilège angélique, surplombe l’histoire depuis le passé jusqu’au fond des Temps, depuis Ève avant la feuille de vigne jusqu’à l’Apocalypse, je n’ignore rien du déroulé du christianisme, de l’obsession de sujétion de ses deux premiers millénaires ; mais des conseils aux deux Marie, à leurs enfants et petits-enfants, des recommandations d’examen attentif, de prudence et même de réticence leur auraient été incompréhensibles. Comme lorsqu’il s’agira d’adopter "la Vérité seule et unique" que 318 Grecs, sauf deux, voteront en 325 à Nicée et de confier la gestion des anathèmes à la police de l’empereur. Ou quand un brillant rhéteur d’Hippone présentera "la" clé du problème du mal (Ève encore mais en pagne et l’intérêt d’un sacrifice humain) : 1600 ans de culpabilités poisseuses et de frayeurs infernales ! Ou encore quand des moines recommanderont la paille et les fagots pour expliquer aux juifs, aux morisques, aux supposés sorciers et sorcières à quel point le Dépôt de la foi est libérateur. Ou quand le Roi très Catholique voudra envoyer sous terre et aux enfers des "soi-disant réformé" par milliers pour une autre version du Dépôt. Ou quand, au gré de Mgr Ratzinger & co, il conviendra de mettre tout le monde en rang, rien qui dépasse. Etc. etc.

Avec mes prédictions, les deux aimables Marie auraient été effarées : Jésus ne libérait-il pas, aussi, des excès du pouvoir ? À tout le moins étonnées, si elles avaient appris que des fidèles, hommes, rédigeraient des kilomètres de prescriptions quant au sexe et au ventre d’autres fidèles, femmes. Et sans doute stupéfaites ou amusées si elles avaient appris que des fidèles (princes, "cardinaux" dit-on, quelque 230), s’enroberaient de kilomètres de moire carmin et de dentelles pour aller partager un peu de pain sur la tombe de leur ami Pierre, amateur de poisson.

Mais je me devais d’aller à l’essentiel : vous aimez Jésus, vous allez le retrouver !5 Les soldats tombés pour leur foi, le Très-Haut ne les avait-il pas ressuscités ?6 De même Jésus. « Il est ressuscité d’entre les morts7, et le voilà qui vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez » (Mt 28,7). Allez donc en Galilée8, ranimez vos souvenirs, retrouvez ce surplus de vie que vous y connaissiez ; à votre tour et selon son esprit, aidez et entraidez-vous, soignez, guérissez, réconfortez, pardonnez. En un mot libérez ! Ce sera comme renaître, vous aussi, ressusciter. Bonne nouvelle !

Chers chrétiens de 2020, je causerais souvenirs à l’infini… comme un vieux de chez vous ! Mais en guise de vœux, je ne saurais mieux dire qu’à l’époque : « Allez en Galilée, c’est là que vous le verrez ! ». Lisez, relisez, laissez-vous inspirer.9 Ne vous laissez pas abattre par la mort, le mal et tous ses avatars mais, selon l’esprit de Jésus, aidez, guérissez, réconfortez, par-donnez. En un mot, libérez ! Et comme critère, non le religieux car la Loi peut s’avérer inhumaine, mais l’humain ! En surplus de vie. Bonne nouvelle !

Par ailleurs, je tiens à vous recommander, à vous, la plus grande prudence, une extrême réserve quant aux canons nicéens et tridentins, aux anathèmes musclés (pitié pour les ariens !), au péché censé originel, à la mode célibataire toujours si cotée, aux plaintes des nostalgiques, aux alignements coincés, aux pourpres fanées. Repérez les marcottages du sacré, débusquez les hydres du pouvoir. Allez en Galilée et retrouvez-y le souvenir de Jésus. Et son esprit, toujours vivant, plus fort que la mort. Et sa lumière. Libérez ! Les chantiers s’étendent sous vos yeux : extrêmes-droites toxiques, creusements des inégalités, mesquineries et exclusions, cupidités et mensonges.

Tout ange que je sois je m’égare, mais j’en termine. Bon séjour en Galilée, dans la lumière de Pâques, en compagnie des aimables fantômes de ces deux Marie décidément épatantes : n’avaient-elles pas, elles, reconnu Jésus, lui embrassant les pieds (Mt 28,9-10) ? Je vous laisse devant un tombeau béant et avec vos questionnements. Car je suis l’Ange de l’Absence. À l’an prochain !


Jean-Marie Culot (Hors-les-murs)

Notes :


1 Les récits que les contemporains de Marc, puis de Matthieu (comme ce Mt. 28,1-8) leur demandèrent de saisir ou de composer doivent sans doute beaucoup aux souvenirs des deux Marie : le Golgotha, le dépôt au tombeau et, surtout, les ‘résurrections’ intérieures qu’elles vécurent au fil de la renaissance de la communauté.

2 L’iconographie chrétienne exploitera abondamment la scène du tombeau avec un Jésus surgissant dans une lumière flamboyante, le jour de Pâques. Mais les récits évangéliques n’évoquent que la présence, en début de semaine, d’un ange suscitant la peur ou d’un Jésus, discret d’apparence, jardinier, voyageur, commensal, ….

3 « Ce récit [du tombeau ouvert] est truffé d’invraisemblances » [que l’auteur détaille]. « De graves questions se posent ainsi sur l’historicité du récit. […] Le cumul de ces constats conduit à une conclusion qui, de mon point de vue, s’impose : la tradition du tombeau ouvert n’est ni le point de départ ni le présupposé de la foi en la résurrection de Jésus. C’est l’inverse qui est vrai : la foi résurrectionnelle a produit une tradition seconde [du tombeau] qui n’a jamais fonctionné comme preuve de la résurrection. En effet, l’absence du corps ne dit encore rien en elle-même ; elle doit être interprétée par le personnage angélique à partir de la foi résurrectionnelle. » Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Seuil, 2019, p. 268.

4 Comme l’ange, Jésus se donne à voir « prenant à revers ceux qui le pensaient perdu » (id. p. 265) : il s’agit toujours de phénomènes de vision. « Les apparitions du ressuscité sont d’une grande diversité […] ; elle s’explique parfaitement sur le mode visionnaire : la vision compose en effet avec le monde subjectif des bénéficiaires. Inscrites dans leur intimité, les apparitions ne se répètent pas à l’identique ; elles portent l’empreinte de leur bénéficiaire » (id. p. 267). Le récit des Marie, de leurs sentiments et de leurs gestes, est un récit de femmes.

5 « La justice de Dieu triomphera dans l‘au-delà, même si, dans l’histoire, mal et souffrance s’imposent. Après le silence de la mort, Dieu prononcera son ultime parole sur le destin des justes. Le supplice de la crucifixion ne fait pas de Jésus un maudit de Dieu […]. Dieu a pris parti pour le supplicié en le ramenant à la vie ». id. p. 266.

6 Dans « le 2e livre des Maccabées, se dessine la croyance en une résurrection individuelle des morts, réservée initialement aux martyrs : Dieu n’abandonnera pas les justes qui sont morts pour leur foi ; il les justifiera au-delà de leur mort et les fera revivre devant lui ». id. p. 265.

7 « Ce qui touche l’après-mort relève de la croyance, uniquement de la croyance. Quand les femmes au tombeau prétendent avoir vu le Crucifié vivant, elles ne communiquent pas un savoir, mais un témoignage, une conviction d’ordre expérientiel. […] Mais tout n’échappe pas à la prise de l’historien. Son enquête enregistre en effet deux faits : 1) la dispersion et la fuite des disciples à la mort du maître ; 2) la recomposition relativement rapide à Jérusalem du cercle des onze disciples et de quelques adhérents, attestée par les Actes des apôtres (Ac. 1). […] Comment expliquer un revirement aussi subit qu’inattendu ? […] Les évangiles proposent une voie : l’expérience visionnaire, par laquelle la transcendance fait irruption dans l’histoire. Cette théorie est objectivement invérifiable […]. Les croyants diront alors, avec ces mots prêtés à l’écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz à propos de la Genèse : "Ce n’est pas une explication, mais c’est la seule" ». id. p. 278.

8 La recommandation de l’ange de retrouver la Galilée, n’est-elle pas celle des premiers chrétiens : nous sommes sortis de l’abîme en nous souvenant, en nous disant et redisant les paroles et les gestes de Galilée, les reliant aux paroles et aux gestes des autres prophètes. N’est-elle pas de faire de l’exégèse ?

9 De l’exégèse donc, relisons le Nouveau et un peu de l’Ancien ; ruminons, apprécions. Nous serions ‘chrétiens’ comme ces chères Marie de Magdala et l’autre Marie, bagage léger, ce serait déjà pas mal. Pas d’impatience à se rajouter sur le dos le bât de vingt siècles de Dépôt de la foi ; le Catéchisme de JPII fait, chez Mame-Plon, ses 675 pages ! Et les soirées d’hiver, remettons-nous en aux bons conseils de Philippe Liesse : lisons J. Moingt, J. S. Spong, A. Rouet et autres maîtres en discernement … et en allègement.




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