Publications

Rechercher les articles
par mot du titre ou mot-clé :

présentés par :

année et n° (si revue):

auteur :

Un tout petit machin pour un fameux patatras !

Philippe Liesse
Publié dans Bulletin PAVÉS n°63 (6/2020)

Un tout petit machin ! Un virus ! Ça fait moins de 250 nanomètres[1]. Il est un vecteur d’infection, mais il a besoin d’un hôte, la cellule, dont il va utiliser le métabolisme pour se répliquer. Les scientifiques, virologues ou épidémiologistes, pourraient en dire infiniment plus. C’est un sujet tellement complexe qu’il vaut mieux laisser la parole aux scientifiques et éviter d’y aller chacun de son petit couplet.

La seule chose que l’on peut affirmer, c’est que ce virus entraîne un fameux patatras : divers symptômes chez celui qui est visité par l’intrus débouchant sur la quarantaine voire l’hospitalisation. Pour les autres, c’est le chacun chez soi, avec seulement quelques sorties autorisées. Le confinement ! Mais comment les gens vivent-ils ce confinement ? Au-delà du télétravail, il y a les occupations incontournables comme l’approvisionnement en vivres. Il y a les contacts virtuels par téléphone, skype, whatsapp et autres réseaux sociaux. Il y a le bricolage et le jardinage, pour ceux qui ont la chance de pouvoir profiter d’un petit extérieur personnalisé ! Il y a aussi le jardinage intérieur grâce à la musique, grâce aux émissions culturelles que proposent les diverses chaînes télévisées, grâce aux lectures, celles que l’on découvre ou redécouvre. Ce jardinage intérieur n’est pas une conséquence directe du confinement, seulement une occasion de creuser plus profond à "la recherche de son identité et de son humanité"[2], sous les bêches et râteaux par exemple d’Amin Maalouf et de Marcel Légaut.

Amin Maalouf, membre de l’académie française, est né au Liban, dans une famille catholique. Fuyant la guerre de son pays, il arrive en France en 1976.

Tributaire d’un pays où les groupes ethniques[3] sont au moins au nombre de 22, Amin Maalouf va s’intéresser à "l’identité", qu’il veut véritablement éplucher. Il ne s’agit pas de proposer un simple copier-coller de notre carte d’identité, car celle-ci ne "dévoile" rien de nous, à part quelques données purement techniques. Il s’agit bien de notre identité complexe, celle qui fait que chaque être est un être composite et unique.

Mais de quoi sommes-nous composés ? D’un patrimoine génétique, familial, culturel, religieux. Nous avons aussi une langue maternelle, et peut-être l’une ou l’autre apprise, nous habitons un pays, un quartier, nous avons des relations de voisinage, nous avons un lieu de travail, des lieux privilégiés de loisirs. De ces différences, nous pouvons certainement affirmer que nous n’avons que quelques points communs avec les autres, ce qui devrait nous pousser à nous mettre en chemin vers l’autre[4]: « Plus vous vous imprégnez de la culture de l’autre, plus vous pourrez l’imprégner de la vôtre. »

Ne pas prendre ce chemin, c’est renforcer le caractère meurtrier d’une identité mal comprise, mal assumée, c’est ouvrir la porte aux extrémistes et aux tueurs en tous genres.

Mais il y a un autre danger tout aussi meurtrier, c’est l’uniformisation. La mondialisation galopante vient édulcorer les différences. Tout va dans un même sens : moins de différences !

Mais « faut-il vraiment se réjouir de voir les hommes de plus en plus semblables ? Ne serions-nous pas en train d’aller vers un monde grisâtre où l’on ne parlerait bientôt plus qu’une seule langue, où tous partageraient le même faisceau de croyances minimales, où tous regarderaient à la télévision les mêmes séries américaines en mâchonnant les mêmes sandwiches ? »

Au-delà de l’image, il faut souligner que la mondialisation nous achemine, bon gré mal gré, vers ces deux réalités qui s’entremêlent bien qu’elles soient opposées : l’universalité et l’uniformité.

L’universalité nous amène à accepter et à reconnaître qu’il y a des droits inaltérables qui sont attachés à la dignité de la personne humaine, quelles que soient la religion, la couleur de peau, la nationalité, le sexe, la manière de vivre, etc.

Mais il est aussi essentiel de lutter contre l’uniformisation "appauvrissante", contre tout ce qui nous entraîne vers un monde "monocorde et infantilisant". Faut-il parler une seule langue ou maintenir les langues locales pour en découvrir la richesse de l’autre ? Faut-il promouvoir les fast-foods ou privilégier la cuisine du terroir qui permet de rencontrer l’autre jusque dans ses choix gustatifs ? Faut-il fréquenter les grandes surfaces commerciales au détriment du commerce local ? Faut-il donner priorité à l’e-commerce au risque de condamner le libraire du coin à la fermeture à brève échéance ?

À l’heure où le Covid 19 nous invite à réfléchir à "l’après", à un changement dans nos habitudes et nos comportements, voilà bien un travail de jardinier qui devrait nous permettre une profonde remise en question.

Marcel Légaut, un autre maître jardinier ! Non pas un philosophe, ni un idéologue, mais un "spirituel", un assoiffé[5]. Il est impossible de le résumer, car une méditation sur la vie ne se résume pas ! Elle ne peut que se goûter, se déguster par picorement.

Dans ce cheminement, l’inquiétude cède sa place à l’affirmation, et l’angoisse à la paix et à la joie. Au départ, il y a une balise, c’est la foi en soi. Elle n’est pas vanité ou orgueil, mais reconnaissance par l’homme de la valeur de sa propre réalité, la découverte de son existence au-delà de la vie. Devant l’absurdité et le non-sens, l’homme sauve son humanité par un "saut dans le vide", un "re-cueillement" ! C’est une invitation à garder le cap de notre propre humanité, à rester « debout » sous les coups tordus des différents maux et autres virus qui veulent nous habiter, la redécouverte que notre humanité est plus que l’immédiat, mais que l’immédiat peut façonner le devenir. L’homme à la recherche de son humanité, c’est un hymne à la Vie dans sa puissance, ou pour le dire en termes de Pâques, « pour qu’ils aient la vie en abondance » !

Voilà bien des jardiniers qui aident à garder le cap, celui d’une humanité "debout" !

« Marie de Magdala se tenait près du tombeau, tout en pleurs. Elle se retourne et voit un homme qu’elle prend pour le jardinier »[6].

10 avril 2020




Philippe Liesse

Notes :

[1]  Le nanomètre [nm] est une unité de longueur du Système international. C’est un sous-multiple du mètre, il vaut un milliardième de mètre.

[2]  L’occasion de redécouvrir Les identités meurtrières d’Amin Maalouf et L’homme à la recherche de son humanité de Marcel Légaut.

[3]  Les communautés d’origine du Liban : Arabes libanais, Druzes, Arméniens, Alawites, Chaldéens, Araméens, Assyriens, Juifs. Les communautés immigrantes : Palestiniens, Égyptiens, Syriens, Français, Irakiens, Américains, Kurdes, Turcs, etc.

[4]  L’auteur situe son propos dans le contexte de l’immigration.

[5]  "Assoiffé" : terme utilisé par Gabriel Ringlet et Amélie Nothomb dans un dialogue radiodiffusé par la RTB le 05 avril 2020 dans l’émission Et Dieu dans tout ça ? La spiritualité, c’est le propre de celle ou celui qui a toujours soif !

[6]  Jean 20, 15.





retourner dans l'article


webdesign bien à vous / © pavés. tous droits réservés / contact : info@paves-reseau.be

Chrétiens en Route, Communautés de base, Démocratie dans l'Eglise, Evangile sans frontières, Hors-les-murs HLM, Mouvement Chrétien pour la Paix MCP, Pavés Hainaut Occidental, Sonalux