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Essai sur la vie spirituelle

Un nouvel ouvrage de François Wernert

Joseph Pirson
Publié dans Bulletin PAVÉS n°63 (6/2020)






Dernièrement,  j’annonçais la publication d’un nouvel ouvrage de François Wernert, enseignant et chercheur en théologie pratique à l’Université de Strasbourg[1].

Dans un précédent ouvrage, déjà présenté dans cette revue, François militait pour une démarche inventive, tout en insistant sur l’importance locale d’un référent (ou une référente) de communauté : « si l’Église vit, elle trouvera les ministères dont elle a besoin »[2]. François présente le double avantage d’être nourri à la fois de la culture française et allemande : il a présenté son Habilitation en 2011 à l’Université de Graz en Autriche. Son enracinement en paroisse, son travail avec des groupes de base et son dialogue, notamment dans le monde universitaire, avec des personnes et des groupes de différentes convictions, l’amènent à proposer une réflexion ouverte et exigeante. Il ouvre des pistes pour celles et ceux qui refusent de simplement "faire comme avant" et cherchent, à nouveaux frais, des chemins pour l’existence chrétienne dans une société éclatée.

Sous le titre d’Essai, il  nous livre une recherche passionnante dans laquelle il n’élude aucune question.[3] Sa démarche est clairement annoncée par la mise en exergue d’une  phrase de Michel de Certeau : « Est mystique celui ou celle qui ne peut s’arrêter de marcher »[4].

Selon lui,  parler de vie spirituelle n’est pas le pur appendice d’une théologie spéculative ou d’une réflexion sur l’intime qui interdirait une approche critique : on ne peut revisiter le riche patrimoine spirituel du catholicisme parmi les religions sans  opérer une solide démarche anthropologique.

Ses affirmations s’appuient sur une recherche très documentée et argumentée qui me paraît reposer, après  lecture complète de l’ouvrage,  sur deux hypothèses fondamentales : l’humain ne se définit pas simplement à partir de son agir stratégique (« l’homo economicus ») ni de sa raison pure ;  par ailleurs, si la foi chrétienne se définit à partir de l’Incarnation, on ne peut parler de théologie spirituelle sans explorer différentes dimensions de notre humanité. Or on constate dans l’histoire occidentale contemporaine un double détachement, à la fois dans le domaine de la conception de la vie en société et de la manière de penser la réalité croyante chez les catholiques. Souvent la vie spirituelle est réduite à une dimension intime et psychologique, au détriment d’une approche de la complexité de l’humain. De son côté la théologie s’est progressivement détachée de la foi vécue, au profit de conceptions notionnelles (le catéchisme, l’orthodoxie...). Malgré l’essor du mouvement liturgique au 20e  siècle, la théologie des sacrements s’est désintéressée d’une réflexion sur la responsabilité commune des baptisé(e)s en tant que « Peuple de prêtres » au profit de la sacralisation de certaines fonctions telles que nous les connaissons dans l’Église catholique.

Cette réflexion n’est sans doute pas neuve, en particulier pour les lectrices et lecteurs de notre bulletin. François Wernert va toutefois plus loin en mettant en cause l’anthropologie dualiste qui reste inscrite dans les textes liturgiques après Vatican II : l’hypertrophie d’une dimension  dualiste qui trouve son point culminant dans la démarche pénitentielle (« sauver son âme », « sauver les âmes ») au détriment de la pensée biblique et de l’anthropologie juive centrée avant tout sur l’unité de la personne et sur la dimension d’alliance vécue dans l’autonomie des sujets humains. La Tradition catholique n’a pas d’anthropologie cohérente unifiée, ce qui a donné lieu à des positions contradictoires, que l’on retrouve dans les textes du Concile Vatican II : Gaudium et Spes rompt avec une pensée dualiste et une méfiance vis-à-vis de l’autonomie humaine, alors que d’autres textes conciliaires restent ancrés dans une conception dualiste, peu remise en question (notamment quand il est question de la liturgie et des ministères ordonnés).


Face à ce constat, l’examen de l’histoire de la théologie montre un héritage risqué et complexe. L’auteur plaide pour une conception  non instrumentalisée : selon lui, « la vie spirituelle doit alors accepter d’être toujours, en premier lieu, en résonance avec un don libre et gratuit.  Cette approche n’est pas un regard béat sur le monde ; ne sont pas ignorées les réalités du péché et du mal, de l’absence de  responsabilités humaines engendrant tant de violences à travers le monde » (p. 107). C’est en reconnaissant cette dimension première du surgissement, de la nouveauté basée sur une alliance, sur une relation qui fait vivre, qu’il propose d’aborder des pistes pour un nouvel agir.


Plutôt que de faire entrer de l’extérieur « chez nous », ne faut-il pas imaginer d’autres formes de présence, d’accompagnement qui rendent justice à la force du message d’Incarnation ? Cette tâche renvoie à la responsabilité commune de femmes et d’hommes à travers plusieurs espaces : ceux-ci incluent l’accompagnement des temps de la vie, l’accueil d’expériences créatives et multiples, en particulier dans le tissu urbain, et la dimension mystique dans des lieux plus spécifiques.[5] L’auteur  a essayé de vivre et faire vivre ces démarches avec toute une équipe de femmes et d’hommes à Hagenau (40 000 habitants), qui est la plus grande ville du Bas-Rhin après Strasbourg.

Pour François Wernert, il ne s’agit pas d’instrumentaliser les recherches actuelles de sens ou les nouvelles démarches spirituelles afin les réintégrer dans le giron de l’Église-Institution, mais il faut se demander comment être au service d’une humanité qui ne se vit pas simplement au rythme de la rationalité instrumentale ou stratégique : c’est-à-dire que la responsabilité des chrétiennes et des chrétiens s’inscrit dans un engagement plus  large qui prend en compte l’importance des actions solidaires, le combat écologique (en résonnance avec Laudato Sí) ainsi que des temps de prière et célébration. Il conclut sur les réflexions que l’historien et philosophe François Dosse a consacrées à Michel de Certeau : celui-ci a contribué à désenclaver le langage mystique en montrant combien il est révélateur du langage humain et de la capacité de vivre avec l’absence, le manque, la limite, quelle qu’en soit la forme. Ceci à l’opposé de démarches religieuses qui veulent tout dire, tout englober, comme c’est le cas dans le « catholicisme intégral » (ici, c’est un propos du commentateur).

Il annonce un prochain ouvrage qui approfondira ces différentes dimensions. Je l’attends et je pense, nous l’attendons toutes et tous avec impatience, tout en notant que l’originalité du livre présenté réside dans le style alerte, la dimension pédagogique adoptée pour revisiter en profondeur l’anthropologie sous-jacente à un ensemble de pratiques sociales.

 

Joseph Pirson

Notes :

[1] François Wernert est Maître de Conférences et Habilité à diriger des recherches à l’Université de Strasbourg. Il est également diplômé en musicologie ; Spécialiste du renouveau liturgique au 20esiècle, prêtre du diocèse de Strasbourg depuis 32 ans,  il a été notamment doyen de Haguenau avant de reprendre à temps plein son travail d’enseignement et de recherche.

[2] Le dimanche en déroute : les pratiques dominicales dans le catholicisme français au début du troisième millénaire, Paris, Médiaspaul, 2010

[3] François-Eugène Wernert, Essai sur la vie spirituelle, Vannes, Libre label, 2020

[4] Michel de Certeau, La fable mystique, 1982

[5]  Référence est faite à Arnaud Join-Lambert et à ses propositions « Vers une Église liquide », in Études, 4215, 2015, pages 67-78.




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