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L’Église, demain ?

Paul Tihon
Publié dans Bulletin PAVÉS n°63 (6/2020)


La « génération Vatican II » se souvient du changement de perspective introduit par les Pères conciliaires dans la Constitution sur l’Église. Dans le texte préparé par la curie romaine, ils avaient rejeté l’ordre des chapitres prévus : ils avaient fait passer le chapitre sur le Peuple de Dieu avant celui sur la hiérarchie.  L’image d’Église qui devenait la référence, c’était donc celle-là : l’Église, c’est un groupe de personnes touchées par le message de Jésus, transformées par cette « bonne nouvelle » et qui ne pouvaient s’empêcher d’avoir envie de la partager.

Quel modèle d’Église ?

Dans les années suivantes, le Vatican avait remis en route les vieilles habitudes. Le mot « collégialité » (la collaboration entre évêques) était devenu ecclésialement incorrect, les conférences épiscopales par régions ou continents n’avaient en soi aucune autorité magistérielle, les pouvoirs centralisés au Vatican restaient intacts.

Or voilà que, depuis quelques années, le pape François se met à parler de l’Église dans la perspective du Concile. Église « en sortie », allant aux périphéries sociales ou morales, « hôpital de campagne »… En conséquence, il lutte contre les ambiguïtés nées d’une longue histoire.

 Première ambiguïté : l’identification entre l’Église et le monde clérical, celui des « ministres ordonnés », comme on dit. D’où une évidence : la distinction entre « clergé » et « laïcs » est une distinction cléricale. Elle met d’un côté, une infime minorité de « ministres ordonnés », évêques, prêtres, diacres, et de l’autre l’immense majorité des baptisé(e)s. La chose est si bien entrée dans les mœurs que pas mal de fidèles de Jésus l’ont intériorisée, ils se situent eux-mêmes comme « des simples laïcs ». Ils sont la foule, les « curés » sont sur une marche plus haut.

Ce n’est pas pour rien que François considère le cléricalisme comme le principal obstacle à la réforme de l’Église. Beaucoup ont compris ainsi son  refus d’envisager l’ordination à la prêtrise de gens mariés. Des prêtres mariés ? François n’a pas fermé la porte : « on peut en discuter ». Il a laissé entendre que ce n’est pas lui qui la franchirait.

Pour l’Amazonie ?

Cette question des prêtres mariés a été très présente lors du récent synode sur l’Amazonie, (octobre 2019) et elle a dominé les débats qui ont suivi le synode. En pratique, les candidats à la prêtrise dont on parlait, c’était des diacres mariés – donc des gens qui étaient déjà membres de la petite minorité cléricale. Or le document final du pape, Querida Amazonia, n’en dit pratiquement rien.

Manifestement, le pape s’était donne d’autres priorités. À ses yeux, le synode sur l’Amazonie n’était pas d’abord convoqué pour traiter un problème interne à l’Église catholique mais une urgence mondiale. On assistait à la destruction de plus en plus rapide de l’Amazonie : incendies provoqués, déforestation, infrastructures telles que barrages et autoroutes, expansion de l’agriculture industrielle, exploitations minières... L’enjeu, c’était de sauver un immense écosystème, y compris les groupes humains qui l’habitaient depuis des millénaires et leurs cultures aux savoir-faire irremplaçables.

Dans ce contexte, un fait a trop peu retenu l’attention. Parmi ces diverses ethnies, un bon nombre avaient accueilli positivement le message des missionnaires chrétiens, catholiques ou autres. Ils vivaient leur vie chrétienne, avec ses réunions de prière, et le passage épisodique d’un prêtre ou d’un pasteur. Souvent, la personne qui les rassemblait était une femme, qui agissait comme le véritable chef de la communauté. Lors du synode, plusieurs évêques en avaient parlé, et les quelques autochtones présents avaient confirmé la chose. Qu’est-ce qui leur « manquait » ? Au synode, on a dit et redit : l’eucharistie.

Une certaine théologie du sacerdoce

C’est là qu’on peut se poser la question : ne sommes-nous pas bloqués par une certaine théologie du « sacerdoce ministériel » ? Les exégètes et les historiens des origines chrétiennes l’ont clairement démontré : cette théologie était absente des premières communautés des disciples de Jésus. Aujourd’hui, cette théologie nous aveugle, elle nous empêche de prendre acte des profonds changements culturels qui rendent l’image actuelle de l’Église proprement in-croyable.

Plusieurs habitudes mentales nous bloquent, spécialement nous, catholiques romains. Depuis des siècles, l’image du prêtre est un individu de sexe masculin, ayant accepté de rester toute sa vie célibataire et soumis à l’autorité d’un évêque, lui-même célibataire. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, ce modèle a perdu pratiquement toute crédibilité. Ce qui nous paralyse, c’est aussi le cadre géographique et administratif dont s’est doté le catholicisme depuis le Moyen Âge : le système des diocèses et des paroisses.  Pas d’Église sans paroisses, pas de paroisse sans prêtre. Or dans nos pays, le nombre de prêtres à radicalement chuté. On ne voit pas trop ce qui pourrait les remplacer. Conclusion : on regroupe, chaque curé se voit confier plusieurs clochers.

Comment dans ce cadre imaginer l’Église de demain, cette Église dont le pape nous fait rêver, une Église où chaque baptisé(e) se percevrait comme porteur de la Bonne Nouvelle, prêt à aller aux « périphéries » pour en témoigner et en démontrer la fécondité par la qualité des liens qui lie les chrétiens entre eux ? Comment faire bouger une grosse machine centralisée qui fonctionne ainsi depuis des siècles ?

C’est en partie une question de regard. Sur le terrain, « à la base », les choses bougent. La crise de société provoquée par le coronavirus a mis en lumière un foisonnement d’initiatives – de chrétiens et d’autres, qui faisaient entrevoir une humanité dans la ligne de l’Évangile. Avec ou sans l’étiquette catho : le produit était authentique.

Voir, juger… et agir

Aujourd’hui plus que jamais, chaque croyant, chaque groupe de femmes et d’hommes qui s’inspirent de l’Évangile, est amené à s’interroger : quel pas de plus pouvons-nous faire dans la bonne direction ? Là où je suis, là où nous sommes, quelle est l’action à ma portée, à notre portée, avec son efficacité limitée sans doute mais pas nulle ?

Pour le vieux théologien que je suis, quelle action ? J’en vois une : encourager à l’audace, à la prise de risques, y compris en transgressant les règles. Et donc, légitimer la transgression. Faire comprendre que si mon Église reste vivante,  c’est qu’en réalité elle n’a jamais cessé d’évoluer, de s’ajuster aux situations. Le plus souvent, elle a commencé par condamner les initiatives « hors-la-loi », puis elle les a tolérées tacitement, et elle a fini par… en faire une nouvelle  règle. 

Un exemple clair, bien présent dans l’actualité catho : la présidence de l’eucharistie. Depuis les années 70, aux États-Unis, des petites communautés de religieuses avaient franchi le pas, elles célébraient l’eucharistie entre elles plutôt que de faire venir un prêtre parachuté pour la circonstance. Elles n’étaient pas sans appuis théologiques, y compris de quelques théologiennes d’envergure. 

Les théologiens européens n’étaient pas en reste. En 2008, j’ai fait le point de la question dans un long article de la Revue Théologique de Louvain[1]. Du point de vue de l’histoire de la théologie, les travaux de Joseph Moingt ont bien fait voir que la décision de réserver la prêtrise au sexe masculin était une question de discipline ecclésiastique et non pas une affaire de dogme.[2]

Pour l’instant, la situation est bloquée : dans son Motu proprio Ad tuendam fidem (18 mai 1998), Jean-Paul II a déclaré que c’était « définitivement exclu ». Le pape François s’y est référé : « Le dernier mot sur ce point a été dit par le pape Jean-Paul II et il en restera ainsi. Il en restera ainsi. » À la question d’un journaliste : « Définitivement ? », il répond : « Si nous lisons attentivement la déclaration de Jean-Paul II, elle va dans ce sens. »

Dernier mot ? D’autres Églises ont franchi le pas, elles ont des femmes évêques, prêtres, pasteurs. Combien de temps faudra-t-il pour que notre Église ouvre les yeux sur un changement culturel difficile à ramener à une mode ? Pour qui connaît un peu l’histoire de l’Église, quand à Rome on dit « définitivement », traduisons : « dans le contexte actuel du catholicisme, à Rome on ne voit pas comment en arriver là ». Mais Jean-Paul II n’a pas arrêté l’histoire.

 

Paul Tihon

Notes :

[1]  Paul Tihon, « Sur l’animation des communautés catholiques. La présidence de l’eucharistie, un débat clos ? » dans R.T.Louv. 39, 2008, p. 492-519.

[2]  Joseph Moingt, Esprit, Église et Monde, II. De la foi critique à la foi qui agit, Paris, Gallimard, 2016, p. 114-222 ; L’esprit du christianisme, Paris, Temps Présent, 2018, p. 230-233.




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