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Une société alternative est possible

Marco Bersani
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L'épidémie de Covid-19 qui a frappé le monde peut être lue de deux points de vue opposés. Le premier est celui des puissantes forces économiques et financières et des élites politiques à leur service : on la présente alors comme un événement exogène, un ennemi invisible qui est venu bouleverser une réalité intrinsèquement linéaire, dans laquelle le monde est gouverné par le marché et où le profit individuel est le moteur de toute activité. Sous cet angle, l’objectif est de vaincre le virus afin de ramener l’économie à son fonctionnement normal le plus rapidement possible.

Le second angle de vue est celui qui voit la pandémie comme un événement endogène au modèle socio-économique existant et qui en fait ressortir avec force toutes les contradictions systémiques. Sous cet angle, l’objectif est de mettre en œuvre... un véritable changement de paradigme, en montrant le caractère insoutenable du modèle libéral et la nécessité de construire, en théorie comme en pratique, une société alternative.

C’est sur ce second versant que se sont engagés deux parcours importants et différents qui, par hasard mais peut-être aussi symboliquement, ont émergé dans la sphère publique le même jour du samedi 21 novembre dernier : la convergence des réseaux associatifs et du mouvement qui se sont reconnus dans le Manifeste "Sortir de l’économie de profit, construire la société de soin", regroupant à ce jour plus de 350 collectifs et plus de 1000 personnes actives individuellement, qui ont donné lieu le 21 novembre à des événements en présentiel et en ligne en 45 endroits d'Italie[1] ; l’événement "L’économie de François", né d’un appel du Pape François en mai 2019, a rassemblé du 19 au 21 novembre plus de 2000 jeunes économistes et entrepreneurs au niveau international pour entamer une réflexion collective sur la profonde injustice du modèle actuel et les réponses à mettre en place.[2]

Quel est l’élément qui réunit ces deux chemins ? Le paradigme du "care" comme élément fondateur d’un nouveau modèle social et écologique, capable de faire face aux deux grandes urgences de la planète : la crise climatique et environnementale et les inégalités sociales.

Face à l’horizon de solitude compétitive proposé par la société de marché, le "care" présuppose l’interdépendance entre les personnes et entre celles-ci et la nature et, contre l’individualisme propriétaire, propose de mettre en place un "nous", en étant clair sur le fait que personne ne peut se sauver tout seul et que personne ne peut être laissé pour compte.

En fait, la pandémie nous a appris cinq leçons :

a) une entreprise fondée sur le marché et le profit s'est avérée incapable de garantir la protection à quiconque ; ce qu’il faut, c’est une société qui place au centre le mutualisme, la coopération, la solidarité et l'autonomie sociale ;

b) la pandémie n’est pas un événement extérieur, mais le résultat de choix politiques et économiques qui poursuivent l’extractivisme, la dévastation de l’environnement, la marchandisation de la nature ; ce qu’il faut, c’est une conversion écologique de l’ensemble du modèle socio-économique ;

c) contrairement à la dévaluation constante de la reproduction sociale, la pandémie a montré que, sans le travail de soins, aucune autre activité ne peut être réalisée, et que l'ensemble de l’organisation de la société doit être repensée avec l’objectif global des soins lui-même ;

d) les contraintes financières, présentées jusque-là comme des tabous indiscutables, ont été suspendues du jour au lendemain pour permettre la prise en charge des personnes ; cela signifie que ces contraintes vont à l’encontre du soin et de la vie des personnes et doivent être abolies afin de reconstruire le pacte social européen sur d’autres bases ;

e) la mondialisation économique a été le canal qui a permis au virus de se propager sur toute la planète en très peu de temps ; il est nécessaire de repenser le modèle social à partir de la centralité des territoires et des collectivités territoriales.

C'est sur la base de ces considérations que tant le parcours de la "société de soins" que celui de "l’économie de François" ont suivi des chemins qui, bien que parallèles, ont de nombreux points d’intersection et peuvent produire des pratiques communes au sein des réalités territoriales.

Si je devais discerner une différence entre les deux voies, il me semble qu’elle se réduirait au rôle attribué à l’économie dans la société. Un rôle qui apparaît encore très central dans le cheminement de l’économie de François, presque comme pour suggérer que le système actuel peut être humanisé et réformé ; un rôle plus fortement réduit, au point de ne plus être considéré que comme un instrument de service, dans le parcours de la "société de soin", signalant l'idée de l’irréformabilité du modèle socio-économique dominant. Mais ce qu’ils ont en commun est beaucoup plus pertinent : la tension vers une mobilisation sociale des femmes et des hommes, et des jeunes générations, pour dire tous ensemble que l’avenir est à réécrire collectivement, à partir du refus de la division des personnes entre vies dignes et vies à rejeter.

3 décembre 2020


Marco Bersani - Italie)

Notes :

(Marco Bersani est le coordinateur national d’Attac Italie)

Source : Adista Segni Nuovi n° 44 du 12 décembre 2020

Trad. : Pierre Collet

[1] https://societadellacura.blogspot.com/

[2] https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2020-11/economie-de-francois-presentation.html  et https://www.cathobel.be/2020/11/leconomie-de-francois-lurgence-de-la-sobriete-et-du-ralentissement/






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