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Anne Soupa : Pour l'amour de Dieu

Laure-Elisabeth Lorent
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

« Pour l’amour de Dieu » : Anne Soupa revient sur sa candidature au siège d’archevêque

Au printemps 2020, Anne Soupa s’est portée candidate pour être nommée archevêque de Lyon. Comprise comme « un coup médiatique », l’initiative donne lieu à une réflexion sur la place des laïcs dans l’Église.

Voici deux lectures complémentaires de son livre, l'une de Laure-Élisabeth Lorent, et l'article de Christophe Henning dans La Croix

On écoutera aussi l'émission "Et Dieu dans tout ça" du 24 janvier 2021 :

https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_et-dieu-dans-tout-ca/accueil/article_femme-et-eveque-et-pourquoi-pas?id=10683680&programId=180


Faut-il rappeler que le 21 mai 2020, Anne Soupa s’est portée publiquement candidate à l’archevêché de Lyon, laissé vacant par la démission du cardinal Barbarin – ce cardinal qui avait protégé plusieurs fois  des prêtres  pédophiles…   ?!   (Cf. le numéro 63 de PAVÉS, p. 2)

Anne Soupa est si connue, voire si célèbre, qu’on néglige souvent de préciser qu’elle est croyante, une croyante qui a été profondément marquée par l’Evangile que son père lui avait révélé. Plus tard, elle a été très impressionnée par la foi de Louis Massignon. Prisonnier en Irak en mai 1908 et menacé de mort, celui-ci écrit :

« L’Etranger qui m’a visité dans la cabine de ma prison est entré, toutes portes closes. Il a pris feu dans mon cœur (…). Aucun Nom alors ne subsista dans ma mémoire qui put Lui être crié (…). Plus rien : sauf l’aveu de Son esseulement sacré : reconnaissance de mon indignité originelle. (…)  L’Etranger qui m’a pris tel quel (…) a bouleversé, petit à petit, tous mes réflexes acquis, toutes mes précautions et mon respect humain ». (p. 91)

Anne Soupa ajoute : « Encore faut-il, pour dire l’amour, trouver les mots justes (…). Je n’avais pas encore compris que le Christ était le visage de ce Dieu si prévenant (…). Ce fut seulement lorsque la Croix s’imposa à moi que je pus me reconnaître comme chrétienne et en assumer publiquement l’identité ». Et « l’amour de Dieu est à la fois l’amour que Dieu me porte et celui que je lui porte » (p. 92).

« Malheur à moi,  tout ce que je devais à cette Eglise, la mienne, si je ne la voulais que « saine » et bien équipée pour annoncer la Parole !  J’ose soutenir que cette Eglise a besoin d’un évêque (…)  qui l’aide à rester fidèle à sa vocation profonde, qui est d’accueillir tout être humain car il est fait à l’image de Dieu ». (p.95).

Paul recommande que « l’épiscope (l’évêque) soit irréprochable, mari d’une seule femme, qu’il soit sobre, pondéré…  sachant bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfants dans la soumission ». (1ère épître à Timothée. (3,1-2). La distinction entre un épiscope et un presbytre- ce qui deviendra un prêtre n’est pas encore élaborée (p. 106).

Jean-Paul II  avait  « réaffirmé que le prêtre restait sans contestation le pilier de l’Eglise, au point que, sous son pontificat, des laïcs ont été écartés de leurs responsabilités pour être remplacés par des clercs alors que ces derniers étaient peu nombreux » et deviendraient de moins en moins nombreux ! Le même Jean Paul II avait donné pour consigne de choisir des « candidats pieux, obéissants et dévots de Marie » ! (p. 112). 

* * *          

Dans l’Eglise catholique, Anne Soupa ne peut devenir ni prêtre ni évêque mais un nombre grandissant de femmes ont décidé de passer au-delà des injonctions de l’Eglise. Ainsi 273 femmes ont-elles été ordonnées prêtres, notamment  sur un bateau croisant sur le Danube, par un évêque de sexe masculin non schismatique (p. 112). Elles sont  surtout présentes aux USA, et réunies dans l’ « Association des femmes prêtres catholiques romaines ». Elles sont excommuniées d’office par Rome mais, de temps en temps, une femme est ordonnée par  un prêtre indiscipliné.

C’était encore le cas le jeudi 18 mars 2021. Myra Brown fait partie d’une petite communauté qui défie le Vatican depuis 20 ans. Elle chante admirablement les negro-spirituals et a été nommée prêtre à Rochester (Etat de New-York).  Cette communauté accueille les divorcés et les homosexuels.  

Un autre événement beaucoup plus important s’est produit récemment en Angleterre. Dans l’Eglise anglicane, où 2000 prêtres sont des femmes (soit un tiers des prêtres anglicans !), la hiérarchie de l’Eglise anglicane a enfin autorisé l’accès des femmes-prêtres à la qualité d’évêque. Il a fallu 40 ans de débats pour que, sous la pression de David Cameron et de l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, les femmes-prêtres obtiennent le droit d’être nommées évêques. Rappelons que le christianisme anglais est très proche du catholicisme : il honore les Pères de l’Eglise et le credo de Nicée. Dans les années 30, les Anglicans et les Catholiques ont été sur le point de s’unir mais cette union ne s’est pas réalisée.

Même chez les Catholiques, il y a un certain progrès : une religieuse française, Nathalie Becquart, a été nommée (le 6/02/2021)  sous-secrétaire du synode des Evêques et elle a le droit de vote. L’abbé Eric de Beukelaer a insisté sur le fait que l’on confie de plus en plus de responsabilités aux femmes. Lui ne serait pas opposé à ce qu’on nomme des femmes cardinales, puisqu’en fait cela n’a jamais été interdit par  l’Eglise.

Pour Anne Soupa « l’instauration de la prêtrise reste un sujet d’étonnements multiples. Le premier est que cette fonction n’a rien à voir avec ce que voulait Jésus ». (p.105). Dans les 4 évangiles, le mot n’est même prononcé qu’une fois.   En créant des prêtres, l’Eglise a été infidèle à son fondateur, car il est difficile d’admettre qu’elle se soit donné des prêtres sacrés, mis à part  du peuple et dotés de pouvoir, alors que Jésus les avait combattus ! » (p. 107).

«  Je suis d’ailleurs surprise que l’on ne pousse pas à son terme la Lettre au peuple de Dieu du pape François, alors qu’elle mène tout naturellement à la mise en cause du sacrement de l’Ordre » (p. 114).  « Là où les nécessités de l’Eglise le conseillent, et,  à défaut de ministres sacrés, des laïcs  peuvent remplir en suppléance telle ou telle de leurs fonctions ». Mais (p. 121) Jean-Paul II affirmait que  « l’exercice d’une telle fonction ne fait pas du fidèle laïc un pasteur » (!).

Certains m’ont fait remarquer, écrit Anne Soupa, que vouloir devenir évêque risquerait de me conduire au cléricalisme mais ce ne peut être le cas quand on décide de rester « un membre ordinaire du peuple de Dieu… »

Alexandre Faivre, historien des premiers siècles, précise qu’un certain Justin de Naplouse (IIe siècle) ne fait pas de distinction entre les chrétiens : « Pour lui tous les chrétiens sont prêtres ». Et Tertullien (IIIe siècle) affirme : «  Là où ne siège pas  l’ordre ecclésiastique, toi laïc, tu offres et tu baptises, tu es toi-même ton propre prêtre. » (L. de Kerimel, "En finir avec le cléricalisme"). En 373, Amboise de Milan n’a-t-il pas été consacré évêque sans jamais avoir été auparavant ordonné prêtre ? »

A la dernière page de ce livre, «  on découvre ce que pourrait être une charge d’évêque laïc, largement ouverte  aux non-pratiquants, dans une gouvernance de dialogue et de rassemblement recentrée sur l’essentiel de l’Evangile ».              

Laure-Elisabeth Lorent

* * *

On ne demande pas à être évêque, on y est appelé. C’est dire que la « candidature » d’Anne Soupa, postulant au siège d’archevêque de Lyon le 25 mai 2020, a surpris. Qui plus est venant d’une femme : du jamais-vu dans l’Église catholique… Au-delà de l’emballement médiatique, c’est toute une ecclésiologie que la théologienne cofondatrice du Comité de la jupe a développée à cette occasion.

Il fallait bien un livre pour revenir sur cette affaire qui a touché bien au-delà des cercles catholiques. Dans une première partie, l’auteure raconte la genèse de cette idée folle. C’est au cours d’un déjeuner familial qu’Anne Soupa est prise à partie par son fils : pourquoi la cofondatrice du Comité de la jupe ne s’engage-t-elle pas elle-même pour faire mieux que ces hommes évêques ? L’idée fait son chemin, jusqu’à l’envoi, le 25 mai 2020, d’une lettre de candidature au nonce apostolique, « ambassadeur du pape » qui prépare les nominations épiscopales. S’il n’y a eu aucun écho de l’institution, la sphère médiatique s’est passionnée « comme des ours devant du miel », écrit Anne Soupa amenée à courir de plateaux en interviews pour partager son diagnostic : « En ce qui concerne l’Église, sa structure actuelle est à bout de souffle. Elle appelle un profond remaniement dont la question des femmes est à la fois le symptôme et la maladie. »

Approfondir sa vision de l’Église

Si, devant les micros, Anne Soupa a surtout dénoncé le peu de place qu’ont les femmes dans l’Église et la légitimité de sa candidature, la seconde partie de son livre lui permet d’approfondir sa vision de l’Église. Une réflexion qui n’est plus centrée seulement sur les femmes mais davantage sur le rôle des laïcs. Certaines fonctions et responsabilités pourraient être, selon elle, détachées de l’ordination diaconale, presbytérale ou épiscopale. C’est en ce sens qu’Anne Soupa tente de « dessiner la silhouette d’un évêque laïc, tel que je pourrais l’être ou que d’autres le seront un jour ».

Or, dénonce-t-elle encore, « dans la mentalité commune, l’Église catholique, c’est le prêtre et rien d’autre ». Ce qui conduirait davantage à adapter le clergé à la situation plutôt qu’à innover : « Il est souvent proposé de rendre le célibat (du prêtre) optionnel, mais plus rarement de confier des responsabilités importantes aux laïcs. »

C’est cette montée en puissance des laïcs – hommes et femmes – qui est au cœur du projet d’Anne Soupa, soucieuse d’efficacité et estimant que « le recrutement clérical n’est plus un gage suffisant de bonne gouvernance (…). Être prêtre ne signifie par savoir gouverner ».

Importance de la vie spirituelle

Si l’auteure insiste – à l’instar du pape François – sur l’importance du baptême alors que le concile Vatican II a ravivé la notion de peuple de Dieu, elle pointe encore « la captation cléricale » qu’aurait opérée Jean-Paul II, allant même jusqu’à dénoncer « la maltraitance » des laïcs « en état de sujétion ». Ainsi, ce n’est pas une candidature place pour place que revendique Anne Soupa, qui se défend de tout cléricalisme, mais bien une profonde réforme des structures ecclésiales, où l’organisation n’est plus dépendante de l’ordination mais de la mission exercée : « C’est pourquoi une candidature laïque à la charge épiscopale, dédiée en priorité à l’annonce évangélique et détachée de la charge des sacrements n’a rien de choquant. » Un évêque laïc et une configuration qui ne seraient pas sans incidence sur la pratique des sacrements, dont l’auteur lui-même convient qu’elle est déjà fragilisée.

Si les audaces ecclésiales d’Anne Soupa pourront prêter à débat, elle termine son ouvrage en insistant sur la vie spirituelle, la place de l’accompagnement, la fréquentation de la Bible : « Si la parole cléricale échoue à rejoindre ses destinataires, si les sacrements ne sont plus un recours, que reste-t-il aux catholiques pour soutenir leur foi ? La Bible », conclut la théologienne. Pour transmettre la foi, reste à sauver l’Église. Et Anne Soupa se lève, avec ce qu’il faut de provocation : « J’ose soutenir qu’elle a besoin d’évêques comme moi ».

 

Christophe Henning,

La Croix, le 20/01/2021          

https://www.la-croix.com/Culture/lamour-Dieu-Anne-Soupa-revient-candidature-siege-darcheveque-2021-01-20-1201136001


Laure-Elisabeth Lorent

Notes :


Albin Michel, 222 p., 19,90 €


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