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Quel Dieu, quel Jésus, quel christianisme ?

José Arregi
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Texte de mon intervention au Ier Congrès international (télématique) “Au-delà des religions”, organisé par GABRIELLI EDITORI en collaboration avec ADISTA (2 avril 2022).


Je propose 10 points de réflexion que je considère fondamentaux en ces temps de transition vers une philosophie, une théologie et une spiritualité non-théiste, post-théiste ou transthéiste. Ce dernier terme, “transthéiste”, est celui que je préfère : avec telle ou telle image de Dieu ou sans image du tout, avec ou sans nom, mais toujours “au-delà” de toutes les images et de tous les noms, vers le Mystère, le Silence.

Je divise mes réflexions en deux parties : la première autour de Dieu et la seconde autour de Jésus.

I. DIEU AU-DELÀ DE “DIEU
            

1.1. Croyez-vous en Dieu ?

On raconte qu’Arnold J. Toynbee, le célèbre historien des civilisations, discutait en 1963 avec son fils, qui lui demanda soudain : ” Crois-tu en Dieu ? ” Toynbee a répondu : “Je crois en Dieu si les croyances hindoues ou chinoises sont incluses dans la croyance en Dieu. Mais il me semble que les chrétiens, les juifs et les musulmans, pour la plupart, ne l’admettraient pas et diraient qu’il ne s’agit pas d’une véritable croyance en Dieu”.

Si l’on me demandait, comme son fils l’a fait à Toynbee, “Crois-tu en Dieu ?”, je pourrais aussi répondre comme lui. Ou je dirais simplement : “Cela dépend de ce que nous entendons par Dieu”. Je ne crois pas ce que l’on entend par “Dieu théiste”, mais je crois que je crois en Dieu en tant que Mystère Source indicible de la Réalité. Cela m’amène à mon deuxième point.

1.2. Qu’entend-on par “image théiste de Dieu” ?

Le terme théisme est également équivoque. Pour des raisons de simplicité, je me réfère à la définition proposée par le grand théologien évêque John Shelby Spong : “la croyance en un Être extérieur, personnel, surnaturel, potentiellement agissant dans le réel” (Why Christianity must change or die, HarperSanFrancisco, New York 1998, p. 46). Une Entité Suprême, antérieure et extérieure au monde, “personnelle”, qui a créé le monde à partir de rien et y intervient quand elle le souhaite.

L’année suivante, en 1999, il a formulé “douze thèses” sur ce qui devrait changer dans la théologie chrétienne, et la première de ces thèses dit : “Le théisme comme forme de définition de Dieu est mort. On ne peut plus penser de manière crédible à Dieu comme à un être surnaturel à cause de sa puissance, qui habite dans le ciel et qui est prêt à intervenir périodiquement dans l’histoire humaine et à imposer sa volonté. L’essentiel) du langage actuel sur Dieu est donc dépourvu de sens, ce qui nous amène à chercher une nouvelle façon de parler de Dieu” (Pour un christianisme d’avenir, Karthala, Paris 2019)

1.3. Pourquoi ce ” Dieu théiste ” n’est-il plus crédible ?

Cette idée de Dieu en tant qu’entité suprême et créateur extérieur au monde, ainsi que le système religieux théiste, sont apparus il y a environ 7000 ans à Summer, et ils se sont implantés ou ont prospéré – il est important de le dire – parce qu’ils offraient sans aucun doute un avantage évolutif à la société. C’est la loi fondamentale de l’évolution en général et de la vie en particulier : de toutes les formes émergentes, celles qui sont avantageuses prospèrent. L’image théiste de Dieu a servi à expliquer l’existence du monde et à maintenir l’ordre, à promouvoir le bien et à prévenir les dommages mutuels.

Mais cette image de Dieu ne s’inscrit plus dans le cadre culturel de notre époque : ni comme cause première expliquant le monde, ni comme fondement ultime de l’éthique. Un Dieu comme cause première extrinsèque au monde serait une entité logique postulée par le besoin humain d’explication. Dieu serait une création de l’esprit humain et de son besoin d’un fondement logique. Et à celui qui dit que rien n’existe sans une cause, on pourrait logiquement répondre : “Et qui a créé cette première cause ? “.  S’il insistait sur le fait que “Dieu” est la cause incréée, le questionneur pourrait répondre qu’il serait tout aussi logique que de postuler une cause incréée antérieure et distincte du créé pour affirmer qu’une sorte d’électromagnétisme – ce qui revient à dire “lumière” – est la cause incréée (“éternelle”), en dehors des catégories de l’univers que nous voyons.

Or, la négation d’un Dieu comme cause première et explication nécessaire ne nous condamne pas au scientisme matérialiste. Tout dépend de ce que l’on entend par science et matière. La science est la première à reconnaître que la “matière” n’est pas seulement une énigme, mais un grand mystère, qu’elle n’est pas quelque chose d’inerte et de statique, mais une énergie mystérieuse qui transcende toutes nos catégories d’espace et de temps, et que nous ne pouvons en aucun cas comprendre la matière comme quelque chose d’opposé à ce que nous appelons “esprit”. La matière est une matrice inépuisable, une possibilité, une relation et une auto-créativité sans origine ni fin, d’où émergent toutes les formes, tant celles que nous appelons “matérielles” que celles que nous appelons “spirituelles”.

De même, le refus d’un “fondement divin” de l’éthique ne nous condamne pas à un monde sans éthique, mais nous renvoie à une éthique sans fondement extérieur à la réalité même que nous formons, sans autre fondement que la reconnaissance du mystère absolu de toute la réalité comme relation, comme “Inter-être”, reconnaissance qui suscite la révérence et l’amour de l’autre comme soi-même et de soi-même comme “autre”. De plus, le passé et le présent montrent que les gens qui croient au “Dieu nécessaire” ne sont pas plus justes, généreux et heureux que ceux qui disent ne pas y croire.

Pour toutes ces raisons, le Dieu-Entité traditionnel des religions ne fait plus partie du “croyable disponible ” (P. Ricœur) de notre temps. Son idée n’est plus crédible pour une majorité sociale en général, et en particulier pour ceux qui contemplent, recherchent et pensent le Réel. La négation d’un “Dieu” en tant qu’entité explicative nécessaire ne rend personne moins sensible à l’émerveillement, à la vénération et à l’engagement envers le bien ou le Mystère le plus profond de la réalité, ce qui est une autre façon de dire Dieu.

1.4. Le Mystère le plus profond de la Réalité est-il personnel ?

Je ne dis pas que Dieu, en tant que Mystère le plus profond de la Réalité, n’est pas personnel, et encore moins qu’il est impersonnel. Encore une fois, tout dépend de ce que l’on entend par “personne”. Le concept suggère un sujet individuel doté de sa propre conscience face à un autre sujet, un autre individu, doté de sa propre conscience, distincte de la première. Il y a eu, surtout depuis Hegel, de nombreuses tentatives philosophiques pour redéfinir la “personne” sur le registre de la relation et de la communion plutôt que sur le registre de l’individualité, mais, en fait, la “personne” signifie toujours un sujet, un centre individuel conscient de soi distinct d’un autre centre individuel conscient de soi. Eh bien, si nous comprenons Dieu comme le Réel le plus profond ou comme le Mystère le plus profond du Réel, nous pouvons difficilement le considérer comme une “personne” au sens d’un sujet opposé à un autre sujet, quelqu’un à côté de quelqu’un, distinct de lui.

Cependant, Dieu en tant que Profondeur de la réalité ou en tant qu’Être pur et plein de l’univers ou du multivers, Dieu en tant que Souffle infini de Vie de tout ce qui est réel ou en tant que Relation Absolue, n’est pas un “quelque chose” impersonnel, mais plus, infiniment “plus que personnel”. On pourrait dire qu’Il/Elle est “transpersonnel” au sens le plus large du terme. Ce n’est pas un Je vis-à-vis d’un tu, ni un Tu vis-à-vis d’un je. C’est une pure relation créative de tout à tout. C’est la pure relation créative de tout avec tout, sans fusion ni distinction. C’est le Je de tous les tu et le Tu de tous les je au-delà de l’unité et de la dualité. Toutes les formes d’amour, de reconnaissance, de respect, de tendresse, de relation, de compassion, de solidarité et d’attentions sont des épiphanies et des incarnations de Dieu ou du fondement de tout ce qui est réel.

1.5. L’infini est-il immanent ou transcendant ?

On reproche souvent à la théologie post-théiste ou transthéiste d’enfermer Dieu dans une pure immanence et d’ignorer ou de nier sa transcendance. C’est un autre malentendu. En réalité, Dieu, compris comme la Profondeur ou le Souffle vital de tout ce qui est Réel, transcende absolument l’antithèse immanence-transcendance, tout comme il transcende l’antithèse entre monisme et dualisme. Dieu n’est pas une partie du Tout (dualisme), ni la somme de toutes les parties (monisme). Dieu n’est pas le nom d’une Entité spirituelle opposée à un monde matériel (dualisme), ni le nom d’un Tout divin matériel-spirituel (monisme “panthéiste”). L’univers est constitué de formes, mais Dieu n’est pas une forme, mais la Profondeur non objectivable et trans-objective de toutes les formes. Par ailleurs, la Profondeur n’est pas une forme, mais elle n’est pas non plus à l’extérieur ni à l’intérieur des formes, mais au-delà des catégories intérieur-extérieur. Comme l’Être dans les entités, comme la beauté dans tout ce qui est beau, comme la bonté dans tout ce qui est bon, comme le sens dans les mots, comme le goût dans le pain, le vin ou les oranges, comme le Tout dans chaque partie et dans la somme de toutes les parties.

Le cardinal Nicolas de Cues (XVe siècle) a enseigné que Dieu n’est pas “relativement autre”, mais “absolument autre” que tout, et qu’il est donc “Pas Autre” ou “autre de rien”. Il est absolument immanent et absolument transcendant, une transcendance absolue dans une immanence absolue (R. Panikkar).

1.6. Au fond, le mysticisme de tous les temps et de toutes les traditions ne va-t-il pas au-delà du théisme ?

Je crois que oui. Ne pensons pas que le dépassement de l’image théiste de Dieu n’est que l’affaire de notre temps. L’expérience la plus profonde du réel a poussé des sages, des mystiques, des prophètes et des prophétesses de toutes les traditions à dépasser l’image théiste de Dieu, voire toute image mentale et institutionnelle de l’absolu. Ainsi Confucius et Laozi en Chine ; Bouddha, Mahavira et les auteurs des Upanishads en Inde ; Parménide, Pythagore et Héraclite en Grèce… Tous ont pressenti et pointé l’Absolu irreprésentable au-delà du “Dieu” représenté.

De même, les grands témoins de l’Infini dans la tradition judéo-chrétienne ont fait l’expérience de Dieu au-delà de “Dieu”, au-delà de leur image de Dieu : les étrangers Abraham, Sarah et Hagar l’ont reconnu dans l’étranger ; le persécuté Jacob l’a reconnu au gué, au passage ou au transit, de Jabbok ; l’exilé Moïse l’a reconnu sur la montagne païenne de l’Horeb ; et Jésus l’a reconnu hors du Temple et de la lettre, dans les blessés sur les routes. Ainsi, nous devrions parler d’Hildegarde de Bingen et de Marguerite Porette, de Meister Eckhart, de Jean de la Croix et de Thérèse d’Avila, de Bonhöffer, de Simone Weil et d’Etty Hillesum… Ils sont innombrables.

Ils ont tous transcendé l’image théiste de Dieu, même s’ils ont souvent continué à utiliser le langage théiste de leur propre culture. Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais poussés à rechercher un langage transthéiste, précisément pour être fidèles à leur expérience la plus profonde et à notre propre expérience. Après “Dieu”, il reste le Réel, le Mystère Source dynamique qui bat comme sa Profondeur. Et je pense que Toynbee accepterait ce langage philosophique et théologique, tant oriental qu’occidental, cette façon métaphorique, mystique et “transthéiste” de dire Dieu. Je pense qu’Einstein et de nombreux scientifiques d’aujourd’hui l’accepteraient également.

1.7. Peut-on encore appeler le Mystère innommable Dieu ?

L’Entité suprême “Dieu” niée par les athées je la nie également, mais j’affirme que le terme Dieu ou ses équivalents dans les différentes langues (Theos, Gott, Bog…) n’exprime pas seulement l’image dite “théiste” de Dieu comme Entité personnelle distincte des entités du monde. Et, dans ce temps de transition transthéiste où nous nous trouvons, et selon l’endroit où je me trouve et à qui je m’adresse, ou même dans mon dialogue intérieur le plus profond, je ne renonce pas à utiliser le mot “Dieu” pour désigner le Mystère innommable, au-delà de toutes ses significations. C’est pourquoi je parle de “Dieu au-delà de ‘Dieu'”. Cela semble contradictoire, et c’est discutable, mais au jour d’aujourd’hui c’est mon choix, sachant que le nom que l’on donne à l’Innommable est la moindre des choses.

II. JÉSUS AU-DELÀ DU “FILS DE DIEU”.

            Dans la deuxième de ses célèbres Douze Thèses, John Shelby Spong déclare : ” Puisque l’on ne peut plus penser à Dieu en termes théistes, il est insensé d’essayer de comprendre Jésus comme l’incarnation d’un Dieu théiste. Par conséquent, la christologie ancienne est en faillite”. Je propose 3 réflexions à ce sujet :

2.1. Au-delà du dogme et de l’histoire

Tous les dogmes christologiques sont formulés dans le cadre d’une vision du monde et d’un langage théistes. Ils affirment que Jésus est la seule incarnation complète de l’Entité suprême Dieu : dans un univers ou multivers infini (non pas au sens “philosophique” propre, mais plutôt au sens physique), Dieu se serait pleinement incarné il y a seulement 2000 ans, dans un homme juif de l’une des espèces humaines connues, l’Homo Sapiens, sur une planète d’une des innombrables étoiles des innombrables galaxies, dont l’histoire de 13,8 milliards d’années n’est peut-être qu’une des nombreuses histoires d’un multivers infini. De plus, les dogmes affirment que Jésus est né d’une mère vierge, qu’il a accompli des miracles (” brisant ” les lois de la nature, même si nous sommes loin de les connaître toutes), qu’il est mort sur la croix pour expier nos péchés, et qu’il est ressuscité et est apparu miraculeusement, physiquement. Cette christologie s’effondre. Jésus me demande un autre langage pour parler de son Mystère, qui est le Mystère de tout ce qui est, y compris de nous-mêmes.

Mais quand je dis “Jésus”, je ne parle pas du “Jésus strictement historique”, dont nous savons très peu de choses avec une totale certitude. Je veux dire le “Jésus des évangiles”. Ces récits sont eux-mêmes pluriels, voire contradictoires, et ont été élaborés dans les premières communautés chrétiennes et rassemblés principalement dans les évangiles (canoniques et “apocryphes”). Aujourd’hui, bien sûr, il faut lire tous ces récits de manière libre et inspirée, en cohérence avec les différentes formes de savoir.

Je regarde Jésus comme un symbole ou une icône de l’être humain en communion avec tous les vivants. En tant qu’icône de l’être humain engagé de manière inspirée en faveur de la pleine communion, la pleine libération, la pleine guérison et la pleine félicité partagée. Comme une icône de l’espérance anticipée.

Je regarde Jésus comme une icône de la confiance profonde dans la Plénitude du Réel, dans la Source Première, dans le Cœur battant de tout ce qui est, dans le Souffle qui insuffle et soutient la Vie. Jésus l’a appelé “Dieu” et, selon la culture juive de son époque, l’a imaginé d’une manière que nous qualifierions aujourd’hui de théiste, mais il a transcendé et enseigné à transcender toutes les images et doctrines apprises. Je regarde Jésus comme un symbole réel, proche, concret, interpellant, compatissant de l’Absolu, comme une personne-symbole que nous pouvons écouter, à qui nous pouvons parler, aimer et faire confiance.

Et que ce soit clair : je ne regarde pas Jésus de cette façon parce qu’il est la figure unique ou parfaite ou supérieure aux autres, mais parce que sa figure est une partie singulière de mes racines, de nos racines culturelles et spirituelles, personnelles et collectives.

2.2. Jésus était-il un homme parfait ?

            Jésus, un être humain comme nous ? tel est le titre du dernier livre du savant jésuite Roger Lenaers. Le théologien belge nous invite à libérer Jésus des vêtements mythologiques des évangiles et du langage des dogmes ultérieurs. Il insiste sur le fait que Jésus n’était pas un être hybride composé d’une double nature (humaine et divine) dont l'”hypostase” ou sujet ou centre personnel serait la “personne divine”, le Logos, la “deuxième Personne de la Sainte Trinité”. En ce sens, dit Lenaers, Jésus ” était une personne humaine comme nous ” (p. 158), et avait donc ” les mêmes besoins, désirs et réactions que nous ” (p. 158).

Cependant, Lenaers affirme également que Jésus ne se situe pas au “faible niveau d’évolution qui est le nôtre” (p. 52). ” Homme comme nous, il devait avoir les mêmes besoins sexuels que nous, mais il les gérait manifestement différemment de l’être humain moyen et n’en était pas dépendant, mais intérieurement libre, avec la même liberté qu’il montrait face à l’argent, aux apparences et aux critiques de ses adversaires ” (p. 158).

Jésus aurait donc été un Homo Sapiens parfait. Mais n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Nous sommes par définition le fruit merveilleux et fragile d’une évolution aléatoire, essentiellement inachevée et ouverte. Peut-on seulement concevoir un être humain de notre espèce doté d’une intelligence parfaite, d’une volonté parfaite, d’une émotivité parfaite, d’une spiritualité parfaite… ?  D’ailleurs, pourquoi ne devrions-nous pas imaginer que sur une planète lointaine existe déjà ou que sur notre propre planète, dans des millions d’années ou dans seulement 100 ans ou moins, il existera une espèce – humaine, transhumaine ou posthumaine – plus “humaine” – solidaire et heureuse – et donc “divine” que nous tous, y compris Jésus ?

Pouvons-nous raisonnablement imaginer un Jésus qui n’aurait jamais souffert de querelles, de rancœurs et de ressentiments, qui n’aurait jamais connu l’envie, la cupidité et l’orgueil, qui n’aurait jamais vacillé et succombé dans sa confiance, sa solidarité et son espérance ? Si c’était le cas, il ne serait pas humain. Et je ne peux que l’imaginer comme une personne humaine, faite comme nous tous d’argile animée par l’Esprit ou le Souffle, d’argile pleine de lumière et d’ombres. Ce n’est que pour cela, et non parce qu’il était parfait ou même le plus parfait, qu’il peut continuer à m’inspirer.

2.3. Jésus peut-il encore nous inspirer ?

Je suis absolument convaincu qu’il le peut.  Mais je vais parler pour moi-même. Je laisse bien sûr de côté ce que je trouve peu ou pas inspirant, et je m’ouvre à ce qui m’encourage. Si je suis inspiré par Laozi (qui n’a même pas existé) et le Popol Vuh ou le silence du coucher du soleil, pourquoi ne serais-je pas inspiré par Jésus ?

Je suis inspiré, par exemple, par sa profonde confiance dans la Profondeur de la Réalité. Je suis inspiré par le fait que Jésus libère Dieu du système religieux-sacrificiel et sacerdotal du temple et des “traditions humaines”, et nous renvoie au Mystère ultime qui “relève les humbles de la poussière et renverse les puissants de leurs trônes”, qui cherche le perdu et se réjouit de le trouver, qui “justifie” le collecteur d’impôts contre le pharisien, qui fait pleuvoir sur les bons et les mauvais, qui annonce par la bouche du “dernier prophète” le Jubilé de la grâce et de la libération…..

Je suis inspiré par sa personnalité de prophète charismatique itinérant, et par le fait que, dans sa vie itinérante, il était accompagné par des hommes et des femmes sur un pied d’égalité, au grand scandale des gens bien. Je suis inspiré par sa sensibilité, son esprit, sa praxis fraternelle-sororale : “Vous êtes tous frères/sœurs”. Je suis inspiré par son insistance sur le fait que “je veux la miséricorde et non des sacrifices”, sa compassion, sa convivialité ouverte, le pouvoir de guérison qu’il suscitait chez les malades (“ta foi t’a guéri”), et le fait qu’il ne se souciait pas du péché (la “culpabilité”), mais de la souffrance. Je m’inspire de la profonde ” révolution des valeurs ” qu’il a opérée, attribuant aux pauvres et aux derniers les valeurs que l’on attribuait habituellement à l’aristocratie (magnanimité, paix, générosité, filiation divine, sagesse…), et revalorisant les valeurs des pauvres (hospitalité, économie familiale de réciprocité…). Et je suis inspiré par sa liberté intérieure et publique face au pouvoir politico-religieux, qui l’a conduit à risquer sa vie jusqu’à la perdre (et donc la gagner) complètement.

Mais en définitive, il ne s’agit pas d’adhérer à des croyances, qu’elles soient anciennes ou modernes. Il s’agit d’avoir des racines qui nous nourrissent et un sol sur lequel nous pouvons marcher dans la confiance. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire, mais d’abandonner son cœur, de faire confiance à la Réalité, de devenir un Samaritain compatissant envers toute créature souffrante, et d’être ce que nous SOMMES éternellement. Voilà ce que c’est vraiment croire en Dieu, indépendamment des croyances. Et c’est le moyen de créer Dieu ou de recréer le monde.

Aizarna, le 1er avril 2022


José Arregi - Espagne)

Notes :
https://josearregi.com/fr/quel-dieu-quel-jesus-quel-christianisme/


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