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Le dialogue interreligieux avec les musulmans

Quelques obstacles et difficultés

Philippe de Briey
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

Ceux et celles d’entre nous qui ont des occasions de dialoguer avec des musulman-e-s en font l’expérience : un vrai dialogue sur la religion est loin d’être évident, d’abord à cause des différences considérables entre nos deux cultures, mais aussi à cause d’une méfiance et de préjugés mutuels qui se sont renforcés ces dernières années.

Je voudrais, dans ce modeste article, mentionner quelques difficultés à surmonter et quelques préjugés à abandonner ou à combattre.

Une première difficulté provient d’une grande ignorance ou d’une mal-compréhension mutuelles. Pour prendre un exemple classique, mais non sans importance, quelques mots sur la fameuse question du voile. Nous, occidentaux, nous y voyons un instrument de subordination et d’aliénation de la femme, et je pense que c’est vrai en un certain sens. Mais sachons que les musulmanes elles-mêmes ont toutes sortes de motivations pour le porter telles que : l’obéissance à une prescription du Coran, donc à Dieu lui-même (justifiée d’ailleurs à leurs yeux par le respect de la pudeur ou de la fidélité conjugale), ou bien une manière de préserver leur identité de musulmanes et de ne pas se fondre dans le modèle (ou le moule !) occidental de la femme – à leurs yeux prétendument libérée. Car elles n’ignorent pas chez nous le nombre de femmes battues, manipulées, exploitées, réduites à des objets de convoitise, le nombre aussi de conflits conjugaux et de divorces, et j’imagine que beaucoup d’entre elles doivent être choquées par bien des images qui paraissent tous les jours sur nos écrans et qui témoignent de tout cela. Faut-il alors s’étonner de l’image très négative qu’elles ont de la liberté de la femme à l’occidentale et de leur volonté d’adopter des vêtements très rigoristes ?

Je ne dis pas cela, évidemment, pour défendre la pratique du voile, mais pour illustrer la difficulté que nous pouvoir avoir, les uns et les autres, à nous comprendre et à nous accepter mutuellement comme nous sommes, et non pas comme nous voudrions que les autres soient. Or, à mon avis, il ne peut y avoir de vrai dialogue interculturel qu’au prix d’un grand effort de compréhension et d’empathie, c'est à dire d’un refus de juger les autres cultures du haut de notre culture occidentale prétendument supérieure aux autres et surtout à la culture musulmane.

J’ai eu l’occasion, l’an dernier, d’interviewer quelques professeurs de religion dans des écoles catholiques où la majorité des élèves étaient musulmans. J’y ai constaté une grande diversité des idées et des pratiques des professeurs. Les uns se contentaient d’un cours de religion catholique « ex cathedra » en invoquant qu’ils n’ont pas été formés pour autre chose, d’autres au contraire entraient en dialogue avec leurs élèves musulmans en leur donnant la parole et en les écoutant vraiment et en cherchant à discerner les points communs des deux religions, malgré leurs divergences. Cette attitude est évidemment beaucoup plus exigeante, car elle oblige le professeur à étudier la religion musulmane, mais aussi à approfondir sa propre foi ! « Face à la foi très profonde de certains de mes élèves musulmans, témoignait l’un d’eux, j’ai dû me remettre en question : est-ce que moi je croyais encore vraiment en Dieu ? ». ([1])

Les écoles sont d’ailleurs un lieu de dialogue – ou de non-dialogue !- de première importance. C’est souvent là que se joue, dès le plus jeune âge, l’avenir –ou le non-avenir !- des jeunes musulmans et musulmanes dans notre société occidentale. Et les écoles catholiques en particulier sont des lieux où ces jeunes, confrontés à la foi chrétienne, peuvent être aidés à réaliser progressivement cette synthèse très difficile entre les deux cultures. Car nous avons avec eux des racines communes, des valeurs fondamentales telles que la foi d’Abraham au Dieu unique qui s’intéresse à l’homme ou la foi mosaïque de respect des personnes et des biens d’autrui. Ce sont des points communs qui permettent un dialogue plus profond sur le plan des convictions spirituelles.

 

Une condition toutefois me paraît indispensable à un véritable dialogue : qu’il soit d’égal à égal, et donc que nous renoncions à toute prétention de supériorité.

L’histoire nous apprend que les religions se sont souvent prétendues supérieures aux autres et uniques à provenir directement de Dieu. On doit bien constater que ces prétentions ont favorisé bien des violences, intolérances et guerres … Ces orgueils collectifs, ces ethnocentrismes dénaturent l’essence même du sentiment religieux authentique qui réside dans l’humilité et la volonté de fraternité universelle. Prétendre que notre religion est supérieure aux autres représente un grand obstacle et un vrai poison pour le dialogue interreligieux, le rendant impossible ou superficiel, car, peut-il y avoir un vrai dialogue si l’on n’est pas prêt à ne plus prendre comme absolues certaines formes (dogmes et pratiques) que notre religion a prises au cours de l’histoire ?

Du côté chrétien, le sentiment de supériorité de notre religion a eu comme fondement principal la conviction d’être la seule vraie religion révélée, du fait que Jésus est cru comme Dieu même. Du côté musulman, le sentiment de supériorité est basé sur la conviction semblable d’être le point final de la révélation. Ici, ce n’est pas le prophète, mais le Coran qui est descendu littéralement du Ciel par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. ([2])

Quoi qu’il en soit de ces questions théologiques, je ne vois personnellement pas d’autre issue pour un véritable dialogue interreligieux que le renoncement à toute prétention de supériorité. Répétons plutôt que la seule chose importante est ce que nous faisons de notre foi. A la Samaritaine, Jésus dit que la vraie adoration (c'est à dire la vraie religion) n’est pas à Jérusalem ou sur le Mont Garizim, c'est à dire n’est pas dans une religion particulière, mais seulement « en esprit et en vérité », c'est à dire dans le cœur et la conduite de chacun d’entre nous, que nous soyons chrétiens ou musulmans, bouddhistes ou hindouistes, juifs ou amérindiens...

Eduqués dans l’idée que le christianisme –et même le catholicisme !- était la seule vraie religion révélée et que les autres n’étaient que des ersatz, des « pierres d’attente », nous avons regardé de haut les autres religions et en particulier l’islam, avec lequel le christianisme est entré en compétition et souvent en conflit depuis le début, d’où les guerres de conquête et de reconquête accomplies au nom de LA seule vérité : hors de l’Eglise pas de salut, ou hors de l’islam pas de salut.

 

Les uns contre les autres ou les uns avec les autres, il faut choisir

A ce passé de guerres s’est ajouté ensuite le fait de la colonisation des pays musulmans par les pays européens, créant une profonde frustration qui a provoqué la naissance de l’islamisme, vaste mouvement de réveil visant à sortir le monde musulman de l’humiliation économique, politique et culturelle infligée par les pays occidentaux maîtres du monde. Cet « islam politique » s’est radicalisé durant les guerres d’indépendance, mais aujourd’hui la dépendance des masses appauvries subsiste et l’hégémonie occidentale est le vrai « carburant » du radicalisme « djihadiste ». ([3])

Depuis le 11 septembre 2001, on le sait, la méfiance des populations européennes vis-à-vis des musulmans s’est aggravée, et avec elle les discriminations au niveau des écoles, des logements et surtout des emplois. Je suis convaincu pour ma part que, comme chrétiens, nous pouvons –et devrions- jouer un grand rôle dans la construction de la paix par la rencontre et la défense de ces populations discriminées, suspectées, marginalisées, ghettoïsées et que nos organisations chrétiennes devraient davantage agir en collaboration et en concertation avec des organisations musulmanes. C’est en luttant ensemble pour plus de justice et pour une humanité meilleure (aussi moralement et spirituellement !) que nous pourrons relativiser les barrières qui nous séparent et apprécier mutuellement nos richesses souvent complémentaires. ([4])

Nous serons alors ensemble un levain pour notre pays, pour l’Europe et pour le monde. Il est temps de découvrir les valeurs religieuses fondamentales qui animent leur culture et leur religion, telles que la foi en Dieu, la soumission à sa volonté, la confiance en sa bonté, l’amour du prochain, le sens de la justice, de la fidélité, de l’honnêteté etc. Il est temps de comprendre que nous avons autant à recevoir qu’à donner et que chaque rencontre, chaque collaboration vaut son pesant d’or pour notre avenir commun.


Philippe de Briey

Notes :
[1] Cette étude vient de paraître sous forme d’une brochure promue par la commission « enseignement » de l’association « El Kalima » du diocèse de Malines-Bruxelles et intitulée « Les élèves musulmans et les cours de religion dans les écoles catholiques » (disponible au prix de 3€ + 1€ de port à El Kalima, 69, Rue du Midi, 1000 Bruxelles, tél. 02.511.82.17 (L., Me. et Ve. de 14 à 18h.).

[2] Il y a bien eu une grande discussion au 8ème siècle entre musulmans sur le caractère « créé »  ou « incréé » du Coran, les « Mu’tazilites » affirmant que le Coran est créé par Dieu, et n’est donc pas Dieu même, ce qui donne à l’homme une plus grande latitude pour l’investiguer et l’interpréter, mais ce courant plus libéral fut assez vite combattu et déclaré hérétique. Aujourd’hui encore, ce caractère « incréé » du Coran demeure tabou, même si beaucoup d’intellectuels (notamment Tariq Ramadan) oeuvrent pour ré-ouvrir « les portes de « l’Ijtihad », c'est à dire de l’interprétation.
De nombreux historiens pensent que les chrétiens que le prophète Mohammed a rencontrés dans ses voyages faisaient partie de communautés qui, se trouvant en dehors des limites de l’empire romain, puis byzantin, n’avaient pas été obligées d’accepter les dogmes de Nicée-Constantinople et les considéraient même comme des déviations de l’Evangile originel. Ce qui expliquerait que le Coran ait repris cette idée en affirmant que l’Evangile a été trafiqué. Ces dogmes constituent donc une difficulté particulière dans le dialogue islamo-chrétien, de même que pour nous le caractère incréé du Coran. Ajoutons cependant que le Coran affirme le caractère suréminent et exceptionnel de Jésus, né miraculeusement de Marie et de l’Esprit saint, - et préservé de la mort et élevé au Ciel - tout en déclarant scandaleux d’en faire l’égal de Dieu, comme s’il pouvait y avoir deux ou trois dieux.

[3] C’était l’image utilisée par François Burgat récemment. L’expression de djihadisme vient des Etats-Unis

[4] J’espère que la session « de Blankenberghe » (qui aura lieu cette année à Ciney) sur le thème du dialogue des convictions sera une occasion d’en discuter et de faire germer des projets.



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