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Sibiu : quel avenir pour l’œcuménisme?

Quelques notes sur un événement qui aurait pu nous interpeller…

Pierre Collet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues

On ne pourra pas dire que nos médias nous aient saturés d’informations concernant le dernier rassemblement œcuménique européen… Trois semaines déjà que l’événement s’est terminé à Sibiu, en Roumanie et j’attends les nouvelles avec intérêt. Et je désespère de trouver des ‘analyses’… Quelques mots dans le dernier Dimanche et dans l’Appel, reçu aujourd’hui, ont fini par me décider à mettre de l’ordre dans tout ce que j’avais trouvé ailleurs, surtout sur des sites web étrangers, mais aussi après la rencontre de Mario Campli, un ami de la communauté de base de San Paolo à Rome et qui revenait tout juste de Sibiu. Voici donc quelques flashes qui pourraient combler un vide, et en tout cas voudraient contribuer à la réflexion sur l’état de l’œcuménisme aujourd’hui… Vues tout à fait personnelles, sans mandat ni délégation d’aucun groupe, faut-il préciser d’emblée…

1. Petit rappel historique. Le "Rassemblement Œcuménique Européen" est une initiative conjointe de la KEK - Conférence des Églises européennes (fondée en 1959, elle regroupe 126 Églises + 43 organisations associées européennes) - et du CCEC - Conseil des Conférences épiscopales européennes (catholiques). Les deux précédentes rencontres avaient eu lieu en 1989 (Bâle) et 1997 (Graz). Entretemps, une Charte Œcuménique avait été signée à Strasbourg en 2001 par les mêmes instances (mais l’Église Orthodoxe Russe continue à dire qu’elle n’est pas d’accord…) proposant "des orientations pour une véritable culture de dialogue et de coopération". Le choix de Sibiu devait être symbolique : après Bâle la protestante et Graz la catholique, Sibiu est non seulement très majoritairement orthodoxe mais aussi un lieu de rencontre pacifique de nombreuses confessions chrétiennes. Quelque 2100 délégués des différentes Églises étaient présents, ainsi que quelques centaines de participants non ‘officiellement’ reconnus.

2. “Du programme proposé dans cette rencontre, nous dit Mario, je retiens que les trois ensembles (questions doctrinales, éthiques et ‘politiques’) ont été traités avec une égale dignité; et par conséquent que les thématiques non doctrinales sont désormais des composantes essentielles du dialogue oecuménique.” C’est ce que nous dit Mario Campli, qui est aussi le délégué italien au Collectif européen des communautés de base, et que je citerai souvent. C’est sans doute vrai que les chrétiens de la base n’ont pas grand chose à faire des discussions purement théoriques entre théologiens des diverses confessions ; ce qui les intéresse, souligne Etienne Catteau du C.I.L., c’est de se connaître, de se rencontrer et de pouvoir ‘agir et vivre ensemble’… Ou comme dira l’évêque luthérien Wolfgang Huber à Sibiu : “C'est en agissant ensemble à la lumière de l'Évangile de Jésus-Christ que nous pourrons faire entendre publiquement et de manière efficace la voix de notre foi dans les grands débats européens et mondiaux : la paix, la justice et la sauvegarde de la création.”

3. Disons quand même un mot du doctrinal, plus précisément ecclésiologique : il fallait évidemment s’attendre à une réponse des non catholiques au dernier rappel du Vatican (10 juillet) concernant "la véritable Église du Christ"…

Rappelons seulement que Paul Löwenthal, président de notre C.I.L., avait eu à l’époque une formule remarquable : “A vouloir exercer seule ce qui lui reste de pouvoir, la hiérarchie catholique perd ce qui lui reste d’autorité.” A Sibiu, le cardinal Kasper a eu beau prendre quelque distance envers la rudesse du propos romain, il ne pouvait pas le renier. La réaction est venue surtout de l’évêque Huber : “Pour les Églises protestantes le respect pour la qualité ecclésiale des autres est de ce fait indispensable ; il fonde l’unité dans la diversité et ouvre la voie à une diversité réconciliée.” [1]

Mais que ce soit l’occasion de dire que, heureusement, des voix catholiques lui font écho : on a pu entendre l’archevêque de Milan, Mgr Tettamanzi, affirmer à l’occasion d’une homélie que “l’assemblée œcuménique était l’unique Église du Seigneur“ [2]

Pour le reste, il faut quand même remarquer qu’un thème comme l’intercommunion, qui était très présent aux rencontres précédentes, est pratiquement rangé aux oubliettes… Et on se contente d’encourager les Églises locales qui ne l’ont pas encore fait de passer un accord sur la reconnaissance mutuelle du baptême – chez nous, il date de 1971 – mais en se gardant bien d’approfondir la notion ‘d'égale dignité de tous les baptisés’ [3]… N’empêche : continuer d’encourager les accords locaux, c’est quand même un pas vers la décentralisation !

4. Quittons donc le terrain strictement doctrinal pour voir si une vision politique a été prononcée à Sibiu.

Pour notre ami Mario, il faut reconnaître une place importante au discours du président de la Commission Européenne J.M.Barroso [4] : en particulier concernant la liberté de religion bien sûr, mais aussi la liberté de ne pas avoir de religion, et la place ‘relative’ des religions (Jérusalem) dans la construction de l’Europe à côté de la raison (Athènes ) et du droit (Rome)… L'Europe est d'abord une construction de droit "à hauteur d'homme".

Commentaire de Mario : “ Mais inversement, l'ensemble des discours de Sibiu, du début à la fin, en assemblées, dans les célébrations, dans les interventions extérieures, tous ont toujours insisté sur la critique de la perte des valeurs de l'Europe. En employant le terme "Europe" mais aussi "union européenne", "l'ensemble des nations européennes", "l'Europe actuelle et l'Europe historique", etc. indifféremment. Question : la critique corrosive à ‘l'Europe sans valeurs’ serait-elle une véritable opposition aux valeurs laïques ? ”

5. D’accord, en parlant des ‘valeurs’, on parle sans doute plus d’éthique que de politique...

Là aussi, l’évêque Wolgang Huber a fait sensation par un appel à l’auto-critique des protestants. Selon lui s’il ne faut pas exagérer le niveau de sécularisation de l’Europe au vu des progrès de la liberté de conscience sur le continent, en revanche il faut être critique à l’égard de l’individualisme croissant. Il a donc fait un appel à la réhabilitation de la notion de communauté, car ‘la communauté rassemblée c’est l’anticipation de la communion des saints et de l’avènement du Royaume’.

Est-ce dans ce sens qu’il faut entendre le métropolite Cyrille de Smolensk, représentant du patriarcat de Moscou, appeler à la ‘solidarité entre les chrétiens pour la défense des valeurs morales’, insistant sur l’idée que les valeurs chrétiennes seraient la seule et dernière chance d’une âme pour l’Europe… ? [5]

Mais ce discours a eu du mal à convaincre l’assemblée, insistent certains observateurs. C’est que le métropolite en question ne cesse pas, depuis plusieurs mois, d’appeler les chrétiens orientaux à résister au modèle occidental, mais plus précisément à la vision occidentale de la démocratie et des droits de l’homme, responsable indistinctement de la laïcité, de la sécularisation, de l’athéisme, de la perte du sens moral, etc. José Reding a commencé une analyse intéressante de la question dans le dernier numéro de SONALUX, en faisant référence particulièrement à cette Église orthodoxe russe, mais aussi en laissant entendre que la critique n’est pas très éloignée de celle de certains chrétiens ‘réactionnaires’ plus proches de nous…

6. Il a donc été question de droits de l’homme et de démocratie à Sibiu, au point que certains n’hésitent pas à parler de ‘morale sociale œcuménique’... Mais en paroles ou en actes ? On fait remarquer dans L’Appel que « ce IIIe R.OE.E. ne fut guère préparé au niveau des fidèles dans les Églises de divers pays, dont celle de Belgique… » C’est un avis du même genre chez nos amis italiens des communautés de base. [6]

De même à propos de l’adoption du Message final. La tentative de ‘coup de force’ de quelques-uns qui voulaient un amendement sans repasser par aucun vote a finalement et heureusement échoué : le Message Final enfin publié trois semaines après la clôture ne reprend pas cet élément et précise même qu’il n’en fait pas partie… Un très bon texte au demeurant, même s’il reste peut-être en deçà des espérances à propos de la paix et du désarmement.

7. En guise de conclusion, trois avis :

Stefano Toppi : “Au retour de Sibiu, je reviens avec cette conviction : que la route de l'unité des églises est non seulement utopique et impossible à atteindre mais peut-être même inutile à poursuivre ; une convivialité naturelle et cordiale des différences n’est-elle pas préférable, comme furent diverses les expériences des premières communautés qui se sont répandues dans le monde après la mort de Jésus de Nazareth ? ”

Mario Campli plaide clairement pour un œcuménisme "alternatif" : “Faut-il encourager la tenue de ce type d'assemblées, même avec la perspective "d'une plus grande participation" ? Je ne le crois pas. Il faut repenser radicalement la "promotion de l'œcuménisme" et il serait plus correct et plus transparent de distinguer entre

- les comportements et les responsabilités spécifiques de la hiérarchie – (on nous le rappelle continuellement : "le ministère, la responsabilité et le charisme dans les Églises appartiennent aux successeurs des apôtres qui portent le fardeau des décisions"…)

- et les comportements et les responsabilités de (tous) ceux qui se sont engagés à la suite de Jésus.

Ainsi,

- (la hiérarchie) a le devoir d’étudier, discuter, approfondir, et s’embrouiller… et elle en répond à sa conscience, à l’Église (peuple de Dieu en chemin) et au Christ ;

- les disciples de Jésus étudient, se réunissent, prient et discutent les formes et les niveaux des témoignages d’unité dans la diversité ; ils sont en mesure d’en assumer la responsabilité, en répondant à leur propre conscience de croyants ; (même avec leurs pasteurs invités et présents, mais sans confusion de rôles…)

Jacques Briard dans L’Appel d’octobre 2007 cite Etienne Catteau : “La société post-moderne est marquée par le pluralisme c’est-à-dire par l’appréciation positive de l’autre (…)” et l’historien Jan Grootaers : “ (…) Ratzinger qui ne supporte pas le pluralisme religieux, certainement pas à l’intérieur de l’Église (catholique), ni avec d’autres Églises chrétiennes, ni finalement avec les autres religions…”

Alors, l’œcuménisme de demain, celui "de la base" en tout cas, ne serait-il qu’un autre nom de la promotion du pluralisme… ? Tout au moins à côté "des" oecuménismes spirituel, théologique et institutionnel...


Pierre Collet (Hors-les-murs)

Notes :
[1] “La Congrégation pour la Doctrine de la Foi vient de rappeler un passage très malheureux, du point de vue oecuménique, de la Déclaration ‘Dominus Jesus’ de 2000, dans lequel le Vatican déclare que les Églises issues de la Réforme ne sont pas des Églises au sens propre du terme. (…) Une Église qui prétend être la seule actualisation appropriée du fondement qui est Jésus Christ, seule à être « Christ existant en tant que communauté », dégrade inévitablement les autres Églises et les empêche de rayonner et de luire ensemble. (…) Pour les Églises protestantes le respect pour la qualité ecclésiale des autres est de ce fait indispensable ; il fonde l’unité dans la diversité et ouvre la voie à une diversité réconciliée.”

[2] “En se rassemblant à Sibiu, dans cette assemblée œcuménique qui est la nôtre, c’est l’unique Église du Seigneur (qui se rassemble) (…) Le voyage de celui qui cherche l’unité est un exode en dehors de lui-même. Cela demande le courage du don de soi, savoir se perdre pour se retrouver (cf. Mc 8,35) dans la seule vraie identité profonde du chrétien : celle-ci n’est pas ethnique, ni confessionnelle, ni culturelle : elle est eschatologique. Sans l’Esprit et sans l’attente, l’Église ne serait qu’une organisation religieuse de ce monde, l’œcuménisme une activité diplomatique, l’unité la réalisation en d’autres temps d’un "modèle d’Église" sociologiquement gagnant. “


[3] Il y a cinq ans, le P. Hervé Legrand demandait “quels moyens institutionnels l'Église catholique se donnait pour mettre effectivement en oeuvre ces responsabilités des fidèles ? Les pratiques des autres Églises sont pourtant, de ce point de vue, éclairantes. Dans l'Église catholique, les responsabilités des baptisés ne sont pas suffisamment honorées. Pourtant, il s'agit là d'un enjeu théologique et œcuménique d'importance.” On n’en parle plus…


[4] “ Tous les formes d’expression de la dimension culturelle et spirituelle de l’homme doivent pouvoir coexister en Europe. (…) Il faut que puissent cohabiter ici le chant profane et les cantiques sacrés qui s’élèvent dans les églises, les synagogues, les mosquées et autres temples religieux…Les Églises et les autres communautés confessionnelles peuvent contribuer à une meilleure compréhension entre les gens par la promotion du respect mutuel partagé…L’Europe est, et sera de plus en plus, un continent multiethnique, multiculturel et multireligeux.. (…) Le dialogue avec les différentes églises, communautés confessionnelles et communautés de conviction et la défense intransigeante de la liberté de religion (ainsi que la liberté de ne pas avoir de religion) traduisent la reconnaissance de cette diversité et ce pluralisme qui sont au cœur de notre idée d’Europe (…)
Je l'ai souvent dit, les Européens ont des racines profondes, héritées des peuples et des cultures qui les ont précédés. Ces racines, ce sont les valeurs européennes. Cette identité européenne commune a été admirablement résumée par Paul Valéry, qui a défini l'esprit européen comme le résultat d'un triple héritage, s'exprimant dans la triade «Athènes, Rome et Jérusalem», c'est-à-dire la philosophie, le droit et la religion; la triade de la raison, de la loi et de la morale, qui a été à l'origine de ce nous appelons aujourd'hui la civilisation européenne. Dans l’histoire de cette civilisation, le christianisme et ses diverses confessions ont été une force qui a permis d’intégrer les multiples apports des différents peuples. (...) .L’Europe est profondément attachée à l’humanisme et à la démocratie, qu’elle a ‘inventés’ (….)
Les pères fondateurs de ce qui allait devenir l'Union européenne n'étaient pas étrangers à cette culture humaniste. L'Europe est d'abord une construction de droit "à hauteur d'homme" (…)
Une Union réduite à ses seules dimensions géographique et économique manquerait d'unité. Seul le partage de valeurs peut donner sa chair à une entité politique comme l'Union européenne, conçue comme une communauté de valeurs, et non pas comme un simple groupement d'intérêts. Une communauté de valeurs qui s'incarnent dans une multiplicité de cultures et de traditions mutuellement enrichissantes, dans le cadre d'une Europe élargie et ouverte, capable de jeter des ponts vers d'autres régions du monde et de dialoguer avec d'autres cultures et religions. En somme, une communauté de valeurs qui s'incarnent dans une communauté de personnes, de familles et de peuples, mais aussi dans des institutions et des politiques concrètes.
L’Union européenne, ses institutions et ses politiques communes sont les meilleurs atouts dont chaque État membre dispose pour faire entendre sa voix et pour affirmer ses valeurs dans le monde. (…)
Mais l'Europe a aussi un sens. Elle doit aussi défendre et faire rayonner les valeurs auxquelles sont attachés les Européens, telles que la dignité humaine, la liberté, la solidarité, la tolérance, la justice sociale et l'État de droit. Ces valeurs sont le ciment de l'unité européenne. Elles forment aussi un pilier inébranlable de la construction européenne. ”


[5] “La défense d’une morale sociale unique et des valeurs chrétiennes dans l’Europe actuelle est aujourd’hui impossible si les chrétiens des principales confessions, malgré leurs divergences doctrinales, ne réunissent pas leurs efforts. La vieille notion d’ ‘œcuménisme’ ne convient plus tout à fait à cette nouvelle tâche. Nous pensons que la solidarité chrétienne fondée sur l’éthique unique et immuable de l’Évangile et le témoignage commun des valeurs chrétiennes au monde sont peut-être la dernière chance pour les chrétiens de redonner une âme à l’Europe grâce aux efforts communs. ”


[6] Avis de Mario, notre témoin-participant : “Il n’y a pas eu de véritable dynamique de l'assemblée (des délégués qui participent, discutent, votent). Au fond le tout apparaissait comme une grande conférence académique. En ce qui concerne la délégation italienne, en outre, elle m'a semblé peu représentative ; la conférence des évêques italiens (la composante catholique) a voulu donner beaucoup de poids à quelques associations (surtout à la communauté de Sant’Egidio) ; celles-là même qui dans la dernière décennie (dominée par le cardinal Ruini) ont eu le "pouvoir" dans la dynamique ecclésiale italienne. Quant au fonctionnement, dès la lecture de la première version du Message final et après un très mauvais essai de débat avorté, quelques délégués (inter-confessions et inter-pays) se sont spontanément retrouvés dans une sorte de forum alternatif (ainsi nommé par quelques protagonistes) pour organiser la participation à la discussion de la seconde version. L’information a dû parvenir aux oreilles des dirigeants de l'assemblée car le lendemain, une heure d’expression a été concédée : ce fut la file d’environ 50-60 délégués au micro pour exprimer publiquement des suggestions. Quant aux ateliers des délégations par pays, y transparaissait nettement le mécontentement pour l'ensemble et la demande de quelques thématiques fortes (paix, participation, etc). En réalité, il ne semble pas que ces carrefours aient eu le moindre impact sur l’ensemble…”
Autre témoignage, celui de Stefano Toppi de la même communauté San Paolo à Rome : “Dans les forums de l’après-midi, aucune idée originale, des discours déjà entendus, comme si l’œcuménisme devait se faire au niveau le plus bas, sur un minimum à partager. Les délégués ? On ne comprend pas dans quel but et avec quelles tâches ils étaient convoqués. Les possibilités d'intervention, même dans les Forums, étaient quasi nulles : on pouvait seulement faire passer des questions écrites que des rédacteurs synthétisaient pour que des rapporteurs puissent lire une réponse globale. Ensuite il y a eu le feuilleton du ‘Message final’…”












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