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Sur l’état du clergé belge :

à quand une saine analyse sociologique ?

Jacques Meurice
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues


Le journal français Le Monde vient de publier une enquête sur la vie et la mentalité des nouveaux prêtres, sous le titre Les hussards de l’Église. Est-ce un réveil des sociologues en général qui, depuis des décennies, semblaient atteints du même syndrome que l’ensemble du clergé : le silence ? Jean Kamp a eu raison de publier, aux éditions Mols, en 2000, Ce grand silence des prêtres. Les prêtres se taisent en effet sous toutes les latitudes et sur toutes les longueurs d’onde. Ne s’agit-il pas d’une attitude dictée non seulement par les nombreuses et radicales condamnations de théologiens mais aussi par la déception profonde de cette génération de prêtres et de laïcs qui avait mis son espoir dans la réalisation d’abord, dans l’application ensuite des textes du concile Vatican II ?

Bien sûr, l’état du clergé n’est pas le même dans toutes les parties du monde. Certains pays d’Afrique recrutent toujours dans l’abondance, là où il y a encore peu de possibilités de promotion pour les jeunes gens, et où l’establishment de l’Église apparaît comme une des rares possibilités de réel développement. Certains pays d’Amérique latine connaissent encore un nombre important de prêtres engagés aux côtés des pauvres dans des com-bats de libération et d’accès aux droits de l’homme. Ce sont ceux qui ont discrètement échappé aux purges organisées systématiquement par Rome. Ceux-là ont peut-être raison de se taire ! Bientôt ils devront se cacher !

Mais pourquoi masquer l’état grave de crise dans lequel se débat l’Église en Occident ? Et ce ne sont pas les récentes et nombreuses béatifications des partisans de Franco en Espagne, ni les motu proprio rétablissant les anciens rites et retournant les prêtres face au mur du fond comme pour les inviter à y foncer, qui amélioreront la situation. Le malaise des prêtres est vraisemblablement dû à la baisse sévère de la pratique religieuse, à la proximité des autres religions provoquée par l’immigration, qui entraîne des comparaisons relatives et des mises en cause réciproques, mais aussi à l’intransigeance de Rome qui refuse toute ouverture à l’ordination des femmes, au mariage des prêtres, à l’évolution des mœurs : divorce, homosexualité, euthanasie, interruption volontaire de grossesse, régulation des naissances, fécondation in vitro, clonage, recherche en biogénétique… en bref, une Rome qui croit pouvoir s’opposer indéfiniment à la relativité des choses de la vie.

La sociologie du clergé occidental n’est-elle pas marquée par un manque flagrant de perspectives ? La raréfaction des effectifs est réelle. En quarante ans, le nombre des prêtres a diminué des deux tiers en Belgique. Le nombre de prêtres out, c’est-à-dire ceux qui sont sortis pour cause de conflit, d’incompatibilité d’engagements ou de convictions, de mariage, ou d’exclusion, voire d’excommunication, est plus important actuellement que le nombre de prêtres in, ceux qui sont restés. Elles ne sont pas rares les localités belges où vous avez plus de chance de rencontrer un ex-prêtre qu’un prêtre en fonction. C’est la réalité. Mais de plus, l’âge moyen du clergé en exercice ne cesse de monter. Il est maintenant autour de soixante-dix ans et il ne baissera plus qu’avec le décès de la plupart d’entre eux, et donc la raréfaction accrue, car la relève est extrêmement limitée, à peine cinq pour cent de ce qu’elle était il y a cinquante ans.

La situation financière des prêtres de paroisse, chez nous, s’est par contre améliorée dans un certain nombre de cas, car ils ont été acculés au cumul des traitements par la force des choses. Nombreux sont les curés qui gèrent seuls deux ou trois paroisses, voire bien plus. Des records de dix paroisses de campagne pour un seul curé sont régulièrement battus dans nos diocèses belges. Le bénéfice de l’État n’en est pas négligeable, car le cumul ne dépasse jamais 150 % du traitement de base.

Le moral des prêtres en exercice est au plus bas, car ils savent bien que la relève sera difficile et sera différente. Les objectifs ne sont plus aujourd’hui ceux qui les ont motivés, eux, jadis, et qui ont été en partie développés il y a plus de quarante ans par Vatican II. Et la course continuelle d’un autel à l’autre pour assurer les célébrations liturgiques et le suivi des sacrements devant une assistance souvent réduite, n’est plus, pour la plupart, une activité très exaltante.

Et pourtant, la générosité des jeunes n’est pas moindre, mais elle s’inscrit désormais dans des engagements nettement plus ouverts sur le monde. Les sans frontières, qu’ils soient médecins, pharmaciens, infirmiers, avocats ou journalistes, logisticiens ou informaticiens, ou simplement volontaires de bonne volonté chez Oxfam, Unicef, Coopération au développement, Amnesty international, Greenpeace, etc, ne comptent pas leurs peines et leurs heures de prestation, même si leurs missions sont limitées dans le temps et l’espace. Les nouveaux prêtres, rares et très typés, semblent être maintenant à la recherche d’intériorité et de transcendance plutôt que de service. Les vrais contemplatifs, eux, paraissent rester une constante, peu représentée mais toujours réelle, de l’humanité, car ils demeurent présents dans toutes les religions, bien qu’à l’écart du monde.

La hiérarchie catholique ne semble pas disposer de beaucoup de moyens pour redresser la situation. Elle reste empêtrée dans sa gestion bien tradi-tionnelle des hommes célibataires. Certains se révoltent cependant, qu’on étouffe aussitôt. La contestation n’a jamais eu voix au chapitre. D’autres tombent dans le jeu des compensations, et on aurait tort de négliger le rôle de la drogue, de l’alcool, de la prostitution et de la pédophilie dans l’Église d’aujourd’hui. Certains diocèses consacrent une part importante de leurs revenus à payer les dégâts provoqués de cette façon.

Si les évêques sont nécessairement conscients de la situation, il n’y en a guère qui s’avancent sur la voie d’une réforme. À Malines, c’est le calme plat qui prépare la retraite de l’archevêque en 2008. Surtout pas de vagues et pas d’écarts. Sa mauvaise humeur remarquée lors du conclave n’a pas eu d’influence et ne pourra plus en avoir. D’autant plus qu’il vient encore de subir les reproches de Rome à propos des prises de position courageuses mais jugées dangereuses du théologien dominicain Ignace Berten. Sans doute Danneels se retirera-t-il comme Martini de Milan, qui, exaspéré, écœuré, s’est finalement "réfugié" à Jérusalem. À Tournai, c’est pire, c’est l’autoritarisme effréné qui prédomine. Qui n’est pas dans la ligne est éliminé. Cela se fait d’ailleurs sans gants et sans nuance, sans grande intelligence non plus. À Liège on dit qu’il y avait trop de prêtres auparavant, et donc qu’il n’y en a pas trop peu maintenant. Tout va bien, circulez, il n’y a rien à voir… À Namur enfin, on ratisse si large et si serré qu’on finit par occuper le séminaire avec ceux qui ne conviennent pas ailleurs. Vive l’opus dei, les légionnaires de toutes sortes et les charismatiques parmi les plus délurés ! La situation dans les diocèses flamands n’est pas essentiellement différente, car l’évolution des mentalités y a connu une accélération semblable et parallèle à celle de la situation économique. De la célèbre devise AVV-VVK (Tout pour la Flandre - la Flandre pour le Christ), inscrite sur la tour de l’Yser, il convient de ne plus retenir désormais que la première partie.

En fait, personne n’ose plus s’avancer sur la voie étroite et difficile d’une véritable réforme. Car c’est de cela que l’Église aurait besoin. Jean XXIII avait parlé d’une mise à jour, un aggiornamento nécessaire à son avis. Aujourd’hui c’est d’une profonde remise en cause qu’il devrait s’agir. Le problème n’est pas seulement psychologique et sociologique, il est égale-ment théologique. Alors que les nouveaux prêtres chantent toujours avec conviction le Credo en un "Dieu tout-puissant", il ne manque pas d’anciens prêtres pour préférer invoquer plus modestement et plus humainement un "Dieu très aimant". N’est-ce pas là une forme moderne de l’éternel conflit entre la transcendance et l’immanence, entre le pouvoir autocratique d’une hiérarchie religieuse et la démocratie en marche d’un peuple appelé à se libérer ? Il est vrai que la toute-puissance de Dieu ne s’accorde pas très bien avec les guerres, le sida, le terrorisme, les tsunamis, de même que la création du monde avec les découvertes ayant trait à l’évolution.

Il faudrait donc oser maintenant, plus qu’une remise en cause, une véritable critique des dogmes et même du processus de définition dogmatique comme tel. Albert Jacquard l’avait bien compris quand il écrivait en 2003 son livre sur Dieu. Mais tous les essais de réforme profonde ont été contrés dans l’Église catholique, condamnés, combattus par les armes et le feu, bien souvent. Faut-il citer l’inquisition, les Cathares, les Albigeois, Savonarole, Jean Huss, Giordano Bruno, les Huguenots, les Calvinistes, la Saint-Barthélemy… ? Les tentatives les plus récentes sont sans doute celle des Modernistes qui, après le siècle des Lumières, voulaient faire ressortir le caractère seulement symbolique de beaucoup d’affirmations théologiques, et celle des théologiens de la Libération qui voulaient promouvoir un christianisme de lutte contre l’oppression et l’injustice vis-à-vis des plus pauvres des hommes. Les uns et les autres ont été écrasés par la hiérarchie en place, discrédités, réduits au silence.

Jacques Gaillot a été destitué, Pierre de Locht est mort. Qui reste-t-il pour dire tout haut et clairement que le Christianisme c’est tout de même autre chose qu’un motu proprio et que la dernière cohorte des prêtres silencieux attendait autre chose que la mort par étouffement de son Église ? Y a-t-il encore place pour une saine étude sociologique de l’état du clergé, chez nous, avant qu’il soit trop tard ?

Jacques Meurice (Hors-les-murs)


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