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Pauvre Belgique, Ô Mère Chérie !

Philippe Liesse
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En août 1996, Jacques NEIRYNCK[1] publie son troisième roman, Le siège de Bruxelles. Il nous projette dans l’avenir, soit une dizaine d’années plus tard, 2007, pour vivre l’éclatement de la Belgique. C’est aujourd’hui !

Un livre à lire, à relire, à méditer !

En cette première décade du XXIe siècle, Bruxelles et toute la Wallonie s’enfoncent de plus en plus dans une crise économique sans lendemain. C’est la mort programmée qui poursuit inexorablement sa route.

Charles, le narrateur, n’est autre que le conservateur des églises désertées de Bruxelles. Mais il est aussi et surtout le cousin du leader fasciste, Erwin. Celui-ci est guidé par un seul slogan : « Sois Flamand, toi que Dieu créa Flamand. » Il rêve d’inventer le futur pour la Flandre, une grande Flandre allant de Dunkerque jusqu’au bout des îles frisonnes.

Dans le déroulement des événements s’entrechoquent complots, réunions secrètes, annexion de Bruxelles, ingérence plus que douteuse d’un ministre français, agression flamingante contre les immigrés. L’imbroglio des situations décrites peut paraître démesuré, mais il renvoie à des problèmes belgo-belges qui touchent à l’identité et à la vie de cette Pauvre Belgique, Ô Mère Chérie.

Au-delà ou en-deçà du roman, il y a en filigrane, l’avenir de l’Europe qui se joue. Bruxelles a été choisie comme capitale de l’Europe ! Une capitale qui se situe au cœur même d’une forte zone de tension. L’auteur décrit en quelques lignes[2], pour des lecteurs européens non avertis, l’enjeu historico-politique de notre petit pays.

La Belgique se divise en quatre aires linguistiques. Trois langues sont parlées dans ces quatre régions : le néerlandais en Flandre, le français en Wallonie, le néerlandais et le français dans la région bruxelloise, l’allemand dans les cantons de l’est.

Cette disparité remonte aux guerres de Religion du XVIIe siècle. Beaucoup de familles de la bourgeoisie flamande s’étaient converties à la Réforme. Quand l’Espagne imposa la foi catholique, l’élite flamande fuit aux Pays-Bas. Le peuple flamand continua à se dépatouiller dans ses dialectes, tandis que la bourgeoisie demeurée en Flandre adoptait le français comme langue culturelle, administrative et judiciaire. Ce fut aussi la langue de l’enseignement ! Situation irréversible pour une société à deux vitesses, avec tout son cortège d’inégalités.

Avec le progrès de la démocratie, cette dualité ne pouvait pas tenir la rampe. Dès le XIXe siècle, le mouvement flamingant monta aux barricades contre les privilèges des bourgeois francophones appelés les fransquillons. La seconde moitié du XXe siècle vit peu à peu la fermeture des écoles francophones de Flandre avec en point d’orgue le fameux « Walen buiten » qui enflamma la ville de Leuven pour donner naissance à Louvain-la-Neuve.

La situation de Bruxelles est encore un peu plus compliquée.

L’agglomération n’a cessé de grandir en absorbant des villages voisins, villages tous flamands. En s’agrandissant, l’agglomération a emporté dans ses bagages la langue française, au grand dam des flamingants qui craignaient comme la peste ce retour des fransquillons. Depuis 1963, année du tracé de la frontière linguistique, des lois drastiques veulent empêcher toute nouvelle extension. Ainsi, des communes sont habitées par 80% de francophones, mais la langue administrative reste pour tous, envers et contre tout, le néerlandais. C’est le « grond » qui est flamand et qui prime tout le reste. Si les francophones se sont vu attribuer certaines facilités, celles-ci sont mises à mal dès que l’occasion se présente, et réputées transitoires dans la tête des flamingants.

Voilà bien une situation où le juridique ne rencontre pas la réalité sociologique : le centre de Bruxelles, qui est francophone à 80%, est réputé bilingue, tandis que la périphérie qui est bilingue est réputée flamande : « Vlaanderen, waar Vlamingen thuis zijn. »

Jacques Neirynck termine son aperçu en soulignant combien l’agglomération bruxelloise apparaît comme une parabole de l’Europe, Babel et Sarajevo à la fois, lieu de tous les dialogues possibles et de tous les mutismes, laboratoire politique où l’on tente, désespérément, de faire cohabiter deux cultures, dans un même Etat.

Le lecteur est maintenant averti, il peut se lancer dans le roman, à la rencontre de Charles et d’Erwin. Bonne lecture !



Philippe Liesse

Notes :
[1] Editions DDB, puis Labor, coll. Espace Nord. Il a écrit, entre autres :
Les cendres de Superphénix, DDB, Paris, 1996
Les choniques de Fully :
Vol. 1 : Le manuscrit du Saint-Sépulcre, Cerf, Paris, 1994
Vol. 2 : L’Ange dans le placard, DDB, Paris, 1999
Vol. 3 : Le Pèlerin de Sylvanès, Presses de la renaissance, 2003
La Prophétie du Vatican, Presses de la renaissance, 2003
[2] Avant-propos, pp. 11-13



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