liminaire
Pierre Collet
Cet article n'a pas été publié dans une de nos revues
05.02.2007. Deux « justes » s’en sont allés rejoindre le « panthéon » des grands témoins. Chez nous, Jean Van Lierde, l’éternel réfractaire, est décédé le 15 décembre à 80 ans. Lui qui avait été de tous les combats d’après guerre, toujours à l’écoute des opprimés et des minorités silencieuses dont la lutte lui semblait fondée, il est arrivé à faire entendre sa voix comme celle d’un Juste incapable de tricher, parce que fondamentalement désintéressé, et prêt à payer de sa personne pour que triomphent ses idées, qui ont fini par se répandre en Belgique et dans nos pays proches. Son calme n’était que le reflet d’un lent travail de fourmi, obstiné et tranquille, sans aucun désir de se mettre en valeur ou d’acquérir une quelconque notoriété. Ce qui lui donnait le courage et la vitalité nécessaire, malgré son grand âge, c’est la conviction qu’il est possible de convaincre et de rallier le plus grand nombre à l’obligation d’une paix universelle et durable, liée au développement sous toutes ses formes. On trouvera une somme d’informations utiles sur le site de la CNAPD.
Autrement médiatisé, à l’image de sa vie et de son action, l’abbé Pierre a fini par cesser de se battre ce 22 janvier. Ses funérailles auront été une bonne occasion de se souvenir de ce que disait la hiérarchie catholique à la sortie de Mon Dieu, pourquoi ? il y a un an et demi… Mgr Noyer n’hésitait pas à dire que ces réactions révélaient deux Églises contradictoires et incapables de se comprendre : d’un côté, des hommes travaillés au cœur par l’Esprit ; de l’autre des Docteurs cachant leur humanité derrière la Vérité qu’ils proclament… Aujourd’hui, l’unanimité pour saluer le « prophète » sera-t-elle seulement de façade… ? Combien de temps durera-t-elle ? En tout cas, il faudra bien assurer le relais : Emmaüs, rien que ce nom, restera le symbole de cet « essentiel », l’amour de l’homme pour ce qu’il est et comme il est. Et nous invite à renouer avec cette intuition morale : donner de l’argent, le gîte et le couvert aux plus pauvres, c’est leur rendre ce qui leur est dû.
Sans bannir l'émotion ni la reconnaissance, l’occasion aussi de nous rappeler ce qu’en disait Roland Barthes il y a 50 ans : « Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens alors à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »
Dans la même ligne, au-delà des personnes et des médias interposés, un article de La Libre, une « opinion » de Gilles Dal, invite à poser la question de l’alternative choisie par l’abbé Pierre, et par tous ceux qui choisissent l’implication « directe » par rapport à l’action plus lente, politique, syndicale, etc.
Mais ces débats ne nous dispenseront pas, à temps en à contre-temps, de vouloir et de faire advenir une Eglise qui vive l’évangile « à partir des plus pauvres »…
Et de rester à l'écoute de tout ce reste du monde où la guerre n'en finit pas de s'étendre. Un courrier du Liban nous le rappelle opportunément.
Pierre Collet (Hors-les-murs)